Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/231

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se sentait aimé. Tant la fin ressemble au commencement ! tant les crépuscules sont pareils aux aurores !

Ce qu’il en vint à sentir pour son ancienne maîtresse — qui était toujours sa maîtresse, mais plus la même cependant — ne fut plus qu’un tendre penchant d’amitié et d’habitude, pareil à celui que nous avons pour nos vieilles connaissances et nos vieux meubles. Quand on a vécu longtemps ensemble, que l’on s’est vus jeunes et que l’on se voit vieux, on n’observe pas chaque jour chaque parcelle du beau sentiment d’autrefois qui se dégrade et tombe en ruines, non plus que le velours qui se râpe, la soie qui se fane, les rides qui se forment ; l’on vieillit ensemble presque d’accord, sans s’en douter, sans le voir ni s’en apercevoir, et l’on arrive ainsi à la plus douce et à la plus complète des décrépitudes.

Il était encore attiré vers elle par ce qui restait de son amour, par des souvenirs qu’il respectait comme des reliques, et par la reconnaissance de son dévouement — qu’il admirait cependant beaucoup moins, en ayant eu tout autant pour elle et ne s’en estimant pas meilleur — enfin par ce je ne sais quoi, composé de chair et d’esprit, émanant de l’un et de l’autre, tenant de l’ange et de la brute, qui porte l’homme vers la femme, qui la lui fait désirer une minute ou mourir en riant sous ses yeux, et que Dieu a placé dans ses entrailles pour sa récompense et son châtiment.

Il ne quitta pas si vite ce cœur où il était enfermé tout entier, ni ce corps qui appelait tous ses sens, et, quand elle passait ses mains dans les siennes, parfois il tressaillait encore, se plaisant toujours aux vieilles joies des voluptés qui avaient perdu leur grandeur. La régularité du plaisir et la satisfaction du besoin physique remplacèrent la fièvre de l’amour, ses frénésies terribles et ses mélancolies bienheureuses ; il n’y eut plus qu’une belle femme et le doux commerce que l’on établit avec elle, quand elle a un caractère sociable et