Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/232

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qu’elle n’est pas trop ennuyeuse aux heures continentes de la journée.

Quoique la lune de miel, dit-on, soit plus longue pour les amants que pour les mariés, elle ne dure pas toujours, or celle des nôtres était passée. L’amour est pour tous le même voyage, fait sur la même route, au galop, en carrosse, à pied, ou en boitant ; c’est toujours le même sentier, à travers les mêmes vallons délicieux, au bord des mêmes précipices, sur les mêmes sommets qui touchent au ciel, avec les mêmes éblouissements, la même fatigue, les mêmes regrets. Vous ne resterez pas toujours couché sur l’herbe fleurie, à écouter le rossignol et à respirer les roses ; vous arriverez au terme comme les autres, comme ceux qui ont été, comme ceux qui seront, comme ont fait les vieillards, comme fera l’enfant qui rit au sein de sa nourrice. Éternel pèlerinage, long pour les uns, plus court pour d’autres, avec un peu moins de pluie ou plus de soleil ; les imbéciles le font comme les héros, les tortus comme les bossus, les louches comme les aveugles, les myrmidons comme les géants.

Les circonstances extérieures, influençant sans doute sur la vie morale, la lui rendaient plus supportable, ou bien était-ce l’âme, au contraire, qui, devenue plus tranquille, épanchait sur les choses du dehors toute la paix de ses rayons, mais Henry vivait presque heureux, et les jours s’écoulaient pour lui dans une monotonie pacifique, tissue de petites joies et de petits bonheurs, chaque lendemain ressemblant à la veille, et tous de la même teinte.

Il était enfin parvenu à avoir quelques leçons, qui lui donnaient quelque argent ; d’ailleurs il en retirait de partout, et vraiment il ne se trouvait pas trop à plaindre. Il rédigeait des circulaires pour des marchands et composait des devises pour les confiseurs ; en outre, pour six francs, il faisait votre portrait sur papier bleu, au crayon de deux couleurs, ressem-