Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/312

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formes, du type de tous ces visages, pourquoi ils naissent, comment ils vivent, dans quel but ils meurent, vers quelle fin ils se précipitent, s’ils renaissent ou s’ils s’éteignent.

Il demande aux palais détruits, dont le péristyle est vide, l’écho sonore des fêtes qui résonnaient sous ces voûtes, et l’éclat des candélabres qui éclairaient ces murailles ; il cherche sur les sables abandonnés la trace des vagues géantes qui y roulaient leurs monstres perdus et leurs grands coquillages de nacre et d’azur ; il pense aux amours oubliés de ceux qui sont étendus dans leur cercueil, à l’agonie future de ceux qui se penchent avec des rires sur le bord de leur berceau.

Sympathie qui entend les souffrances, miséricorde qui pèse les passions, scepticisme qui creuse les faits, il contemple la vie d’un regard tranquille, évoquant à lui, pour en comprendre le sens, le passé et tout son bruit, l’humanité et toutes ses tendances, Dieu dans tout son inconnu, l’âme dans tous ses rêves. L’univers est convoqué à cet appel ; assis à l’écart, sur un tronc solitaire, comme un roi qui reçoit des tributs, il se console de sa tristesse en regardant le dais d’argent qui est sur sa tête, ou se récrée des railleries qui surgissent du choc de toute cette foule, de l’ironie qui plane sur cet ensemble.

Arrêtant l’émotion qui le troublerait, il sait faire naître en lui la sensibilité qui doit créer quelque chose ; l’existence qui fournit l’accidentel, il rend l’immuable ; ce que la vie lui offre, il le donne à l’art ; tout vient vers lui et tout en ressort, flux du monde, reflux de lui-même. Sa vie se plie à son idée, comme un vêtement au corps qu’il recouvre ; il jouit de sa force par la conscience de sa force ; ramifié à tous les éléments, il rapporte tout à lui, et lui-même tout entier il se concrétise dans sa vocation, dans sa mission, dans la fatalité de son génie et de son labeur, panthéisme immense, qui passe par lui et réapparaît dans l’art.