Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/313

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Organe de cette nécessité, transition de ces deux termes, il se considère dès lors sans vanité ni complaisance. Quelle petite place il se sent tenir entre l’inspiration et la réalisation ! s’il fait cas de son talent, c’est en le comparant à celui des autres, mais non pas en l’admirant quant à la beauté qu’il doit dire ; il aime davantage ses conceptions, mais à peine s’il se souvient de ses propres œuvres, plus insouciant encore sur leur destinée, une fois qu’elles se sont produites, qu’il n’était auparavant inquiet de leur naissance. À peine s’il se soucie de la gloire, ce qui le délecte surtout étant la satisfaction de son esprit, contemplant son ouvrage et le trouvant à sa taille ; s’il en désire quelquefois, c’est parce qu’il lui semble alors que la gloire complète la grandeur et qu’elle y ajoute quelque chose, c’est qu’il sent le besoin de rendre aux hommes ce qu’ils lui ont donné, de pénétrer leurs esprits, de s’incarner dans leurs pensées, dans leur existence, pour les voir vénérer ce qu’il vénère et s’animer de ce qui l’embrase. Qu’importe le succès ! en est-elle moins belle, la chanson du rossignol, pour n’être point entendue ? En est-il moins suave, pour n’être pas aspiré par des narines, le parfum que les fleurs, habitantes des régions inaccessibles, laissent s’évaporer dans l’air et monter vers le ciel ?

Insoucieux de son nom, indifférent du blâme qu’il soulève ou de l’éloge qu’on lui adresse, pourvu qu’il ait rendu sa pensée telle qu’il l’a conçue, qu’il ait fait son devoir et ciselé son bloc, il ne tient pas à autre chose et s’inquiète médiocrement du reste. Il est devenu un grave et grand artiste, dont la patience ne se lasse pas et dont la conviction à l’idéal n’a plus d’intermittences ; en étudiant sa forme d’après celle des maîtres, et en tirant de lui-même le fond qu’elle doit contenir, il s’est trouvé qu’il a obtenu naturellement une manière neuve, une originalité réelle.

C’est la concision de son style qui le rend si mor-