Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/314

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dant, c’est sa variété qui en fait la souplesse ; sans la correction du langage, sa passion n’aurait pas tant de véhémence ni sa grâce tant d’attrait.

Presque abandonné d’Henry, l’ayant abandonné lui-même, et réduit à son unique personnalité, sans conseils, sans épanchements, sans public ni confident, quand il veut entendre l’harmonie de ses vers, il se les lit à lui seul, en se balançant dans leur rythme, comme une princesse paresseuse dans son hamac de soie. Quand il veut voir jouer ses drames, il pose la main sur ses yeux et il se figure une salle immense, large et haute, remplie jusqu’au faîte ; il entoure son action de toutes les splendeurs de la mise en scène, de toutes les merveilles des décors, avec de la musique pour chanter les chœurs et des danses exquises qui se cadencent au son de ses phrases ; il rêve ses acteurs dans la pose de la statuaire et il les entend, d’une voix puissante, débiter ses grandes tirades ou soupirer ses récits d’amour ; puis il sort le cœur rempli, le front radieux, comme quelqu’un qui a fait une fête, qui a assisté à un grand spectacle.

À propos de spectacle, ne te lève pas encore de ton fauteuil, avant que je n’aie achevé jusqu’au bout celui que j’ai voulu te montrer ici, cher lecteur, regrettant que tu aies eu moins de plaisir à le regarder que j’en ai eu à le faire mouvoir, et te souhaitant seulement pour l’avenir, quand tu ne sauras que faire, des heures aussi sereines que celles qui ont passé pour moi pendant que je noircissais ce papier.

Allons, allons vite ! que ce soit promptement fini, rangeons en rond tous les personnages au fond de la scène. Les voici qui se tiennent par la main, prêts à dire leur dernier mot avant qu’ils ne rentrent dans la coulisse, dans l’oubli, avant que la toile ne tombe et que les quinquets ne soient éteints.

Et Mme Renaud d’abord ? qu’est-elle devenue ? qu’en a-t-on fait ?