Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’ai été longtemps à me rappeler quelle fenêtre c’était : c’était celle de la prison, je l’ai reconnue ensuite à la couleur de la pierre blanche, par les rayures de nos noms que nous y écrivions avec nos couteaux. Enfin je m’en suis retourné, pensant à nous deux, pensant à toi, me demandant où tu étais à cette heure-là, ce que tu faisais alors à Paris : « Il est peut-être au spectacle, me disais-je, il est dans les rues, il va, il rentre, ou il sort ; où est-il ? »

« Du courage ! dans quatre mois, à Pâques, tu viendras, et puis l’année prochaine il n’est pas encore dit que je ne t’irai pas rejoindre. Ainsi toute espérance n’est pas encore perdue, je me réconforte moi-même pour ne pas trop me désespérer. Si tu étais là, au moins, tu me soutiendrais ; j’ai mille angoisses sans cause, mille tristesses sans motif, j’en ai laissé là mon drame dont je t’avais parlé : Le Chevalier de Calatrava. Quand je veux écrire, je ne trouve pas un mot ou bien je ne pense plus à mon sujet ; je vais pourtant le reprendre, il sera fini avant un mois, je te le lirai à Pâques, quand tu viendras ici.

« Adieu, cher Henry, je t’embrasse.

« Ton ami,
« Jules.

« P.-S. — Envoie-moi par la poste le Schiller que je t’ai demandé, j’en ai besoin pour mon travail. C’est bientôt le jour de l’an ; te rappelles-tu de notre joie au jour de l’an, et des cadeaux que nous avions, de nos beaux livres recouverts de papier de soie… mais pour moi, maintenant, chaque année qui revient ne s’ouvre pas par une fête ! Adieu, mille tendresses. »

Les souvenirs communs que la lettre de Jules rappelait n’eurent pas de mal à émouvoir son ami, ils lui arrivèrent, en effet, par un jour d’ennui, un sot