Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/39

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l’un à l’autre, beaux et forts comme des anges. Souvent mes pieds prennent encore la route de ta maison, souvent je t’attends à l’heure où tu avais coutume de venir. Henry, mon pauvre Henry, écris-moi longuement, souvent ; reviens, ta place est vide à cette cheminée où nous nous asseyions côte à côte, je suis seul, je ne vois personne, je ne veux de personne, je t’attends, je m’ennuie. Et puis voilà l’hiver, tu sais comme le mauvais temps me rend triste, et quelle mélancolie j’éprouve à voir la pluie tomber sur les toits.

« L’autre jour, c’était, je crois, samedi dernier, il faisait encore un rayon de soleil ; j’ai été me promener hors la ville, du côté des remparts, sur ce terre-plein couvert de gazon, d’où l’on voit toute la vallée et la petite rivière de notre pays qui serpente entre les saules. Elle était gelée, le soleil donnait dessus, c’était comme un grand serpent d’argent arrêté sur l’herbe. L’hiver, nous allions là aussi, et que de fois cette comparaison ne nous est-elle pas venue à l’esprit ! En m’en retournant, j’ai passé par la rue aux Orties, qui donne sur la cour du collège, je me suis avancé par-dessus le mur et j’ai regardé dans la cour. J’ai vu les marronniers sous lesquels nous jouions, et ce grand peuplier qui frissonnait aux vitres de notre étude et qui, le matin en été, quand nous arrivions encore tout endormis, était couvert d’oiseaux gazouillants qu’il balançait sur sa tête. J’y suis resté longtemps ; je me suis revu là, le premier jour, entrant, inconnu, au milieu de vous, et toi qui es venu le premier et qui m’as parlé ; et puis tout le reste s’est déroulé lentement dans mon souvenir, les cris quand on entre en récréation, et le bruit de nos balles contre le grillage des fenêtres, et l’air chaud, humide et étouffé des classes, etc.

« Il y avait une fenêtre sur laquelle le soleil couchant jetait tout son feu, on eût dit de l’or enflammé ;