Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/57

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tention possible ; elle ne venait pas. « Elle me l’a pourtant bien promis, se disait-il ; est-ce qu’elle me tromperait déjà ? oh ! mon Dieu, mon Dieu ! » et il se mordait les lèvres de dépit, et trépignait, prêt à crier comme un enfant qui s’exaspère. Il n’écoutait pas le bruit des voitures roulant dans la rue de Rivoli, il ne regardait ni le jardin, ni le palais illuminé dans toute sa façade, il ne pensait ni au roi qui l’habite, ni aux ministres qui y viennent, ni à tous les monarques qui y ont dormi, ni à tout l’or qui y a cuvé ; il ne pensait à personne, mais à lui, mais à elle, mais à eux deux, et à rien autre chose dans le monde.

« Elle ne viendra pas, se dit-il, voilà déjà un siècle que j’entends sonner les heures, les quarts, les demies, attendons-là encore dix minutes », et, les dix minutes écoulées : « encore un quart d’heure, car elle ne peut manquer », puis la colère le prit et il s’enfuit en courant, et jurant dans son âme par tout ce qu’il savait de blasphèmes et de malédictions.

Il trouva Mme Renaud rentrée depuis longtemps et ayant repris déjà son costume de chambre, il avait beaucoup plu tout l’après-midi et elle était rentrée en voiture.

On se mit à table, il avait le cœur serré comme dans un étau, chaque bouchée l’étranglait ; à peine eut-on levé le siège qu’il remonta s’enfermer dans sa chambre, se jeta à plat ventre sur son lit et y pleura tout à son aise.

XI

Un jour qu’il réfléchissait amèrement sur le malheur de sa destinée, la tête dans ses mains et les deux coudes sur sa table, Mme Émilie entra. Il releva sa figure triste et la regarda d’un air étonné, avec des pleurs dans les yeux.