Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/58

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— Ah ! c’est vous ? lui dit-il.

Elle répondit, avec une douceur étrange :

— Je vous importune, dites ?

Le rayon de la lune brillant au fond d’une mer d’azur n’a jamais été plus doux que son regard, et sa voix était suave comme le soupir du vent sur les jasmins.

— Je m’en irais, ajouta-t-elle.

— Vous ! répondit-il, vous ?

Puis, comme elle ne disait rien :

— Vous savez bien que non.

Elle se rapprocha de lui. Il était assis, il détournait la tête et la regardait de bas en haut comme une madone ; elle, debout, baissait ses yeux vers lui, et le regardait avec son sourire.

— Vous savez bien que non, répéta-t-il encore une fois, à de longs intervalles, vous savez bien que non !

Elle avait fait un pas, son souffle descendait sur le front d’Henry, il voyait sa poitrine respirer, il entendait presque battre son cœur. Lentement — cela se fit sans qu’il y pensât et avec la facilité surnaturelle que nous éprouvons dans les rêves — il leva le bras, l’étendit, et le lui passa autour de la taille.

— Pourquoi ? demanda-t-elle.

— Pourquoi ?

Et il l’entraînait doucement vers lui.

— Parce que je vous aime.

Elle se laissait faire ; la tête renversée, il la contemplait en tremblant, pâle et balbutiant comme dans la fièvre.

— Vous m’aimez… vous m’aimez, dit-elle à voix basse, les yeux mourants et comme enivrée de ses propres paroles.

Et elle se pencha sur lui, passa lentement ses deux mains moelleuses dans ses cheveux et le baisa au front, sans bruit, les lèvres collées, le serrant sur sa bouche. Henry, la tenant embrassée, dans ses bras,