Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/87

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que les feuilles des bois emportées à l’automne dans une même rafale, il revit, comme des ombres évoquées, les différents jours de son passé, les uns gais, les autres tristes ; et d’abord ceux où il jouait tout enfant, riant à la vie, sans rêve et sans désir ; et celui où il était entré au collège, et cet autre où il en était sorti, celui où il était arrivé chez M. Renaud, celui où elle était entrée dans sa chambre et qu’il l’avait embrassée sous le cou, ceux aussi qu’il passait avec Jules, en promenade, marchant bras dessus, bras dessous, quand ils achetaient des cerises et les mangeaient ensemble, assis au bord d’un fossé ou couchés sur l’herbe des prairies à plat ventre ; et puis encore les longues heures ennuyées de la jeunesse, passées le coude sur le pupitre à rêver l’avenir et à s’imaginer des amours futures ; et les premières allégresses des voluptés charnelles, et les soirs d’hiver chez lui, là-bas, quand il travaillait tranquille et sérieux, à la lueur calme de son flambeau ; et puis ce jour, aux Tuileries, où la neige craquait sous ses pas ; et les crépuscules blafards des mauvais jours, quand on voudrait ne plus vivre, que sais-je ? que sais-je encore ? Il pensa à son premier amour d’enfant, et à son amour d’alors qu’il croyait plus sérieux ; il rêva à la voix dolente de sa nourrice, quand elle chantait auprès de son lit pour l’endormir, à la voix claire, veloutée et vibrante de Mme Renaud, quand elle parlait ; il pensa à tout ce qu’on pense, il rêva à tout ce qu’on rêve.

Il entendit en bas, dans sa chambre, la pendule sonner sept heures, il referma la fenêtre, s’assit sur une chaise et s’endormit. La chandelle brillait toujours sur la cheminée et se mirait dans la glace.