Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/96

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descendre dans la rue, et était accouru chez Morel pour trouver quelqu’un à qui parler, avec qui pleurer ; il lui fallait à toute force un ami, un confident, son cœur débordait de larmes contenues. Oh ! qu’un mot de pitié l’eût rendu heureux, qu’une caresse l’eût délecté !

Le lecteur imagine sans peine qu’il raconta ses chagrins en d’autres termes que nous ne l’avons fait, et qu’il accompagna son récit de force malédictions sur la perfidie des femmes, sur la vanité des hommes, sur la pluie, sur les chevaux, sur les sous-pieds qui se cassent et sur les serments qu’on fausse.

— Il faut l’envoyer promener, disait Morel.

— Mais j’y tiens !

— C’est là le mal. Alors grondez-la seulement.

— Est-ce que je puis la gronder ?

— Il me semble cependant…

— Mais non ! que voulez-vous que je lui dise ?

— Arrangez-vous comme vous voudrez.

— Hier, reprenait Henry, en valsant, elle me riait à la figure et semblait me dire : non, non, jamais. Elle le regardait avec complaisance, et Ternande aussi, et son mari aussi, pour que rien n’y manquât. Croiriez-vous ? elle venait près de moi et s’en allait de suite, jouant avec mon cœur comme les enfants avec leur joujou, qu’ils cassent quand ils n’en veulent plus ; aujourd’hui encore, elle est montée seule en fiacre avec elles, avec lui, avec tout le monde si ce n’est avec moi… et ces imbéciles heureux que j’oubliais, qui braillaient en riant dans leur patois ! Ô mon Dieu, mon Dieu !… mais je la hais, je la déteste, je l’exècre, je ne l’aime plus, elle peut aimer qui elle veut, tant pis, tant mieux, j’en rirai au contraire… Oh ! j’enrage, tenez, j’en pleure !

Il pleurait réellement.

— Mon pauvre Henry ! disait Morel presque attristé.