Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/138

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çà et là par des losanges réguliers que ferment des nœuds de couleur. Il s’appuie du coude contre une des branches de l’arbre, en tenant une flûte à la main, dans une pose langoureuse.
cybèle
lui entourant la taille de ses deux bras :

Pour te rejoindre, j’ai parcouru toutes les régions — et la famine ravageait les campagnes. Tu m’as trompée ! N’importe, je t’aime ! Réchauffe mon corps ! unissons-nous !

atys.

Le printemps ne reviendra plus, ô Mère éternelle ! Malgré mon amour, il ne m’est pas possible de pénétrer ton essence. Je voudrais me couvrir d’une robe peinte, comme la tienne. J’envie tes seins gonflés de lait, la longueur de tes cheveux, tes vastes flancs d’où sortent les êtres. Que ne suis-je toi ! Que ne suis-je femme ! — Non, jamais ! va-t’en ! Ma virilité me fait horreur !

Avec une pierre tranchante il s’émascule, puis se met à courir furieux, en levant dans l’air son membre coupé.
Les prêtres font comme le dieu, les fidèles comme les prêtres. Hommes et femmes échangent leurs vêtements, s’embrassent ; — et ce tourbillon de chairs ensanglantées s’éloigne, tandis que les voix, durant toujours, deviennent plus criardes et stridentes comme celles qu’on entend aux funérailles.
Un grand catafalque tendu de pourpre porte à son sommet un lit d’ébène, qu’entourent des flambeaux et des corbeilles en filigranes d’argent, où verdoient des laitues, des mauves et du fenouil. Sur les gradins, du haut en bas, des femmes sont assises, tout habillées de