Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/259

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Cependant, des aiguillons du désir fouettez vos corps blasés, car la partie divine s’échappe aussi par la convoitise et la jouissance ; chaque titillation des nerfs émus est un coup de l’aile de l’âme, et l’évanouissement du plaisir un séjour en Dieu.

Méfiez-vous de l’instant terrible où l’harmonie du mal, combinant des projections parallèles, tend à les fondre ensemble dans une stagnation fécondante ; dégagez-vous des bras qui vous étreignent.

Mais il doit s’écarter des femmes, celui dont les rein ne sont pas à l’épreuve ; extrayant de lui-même les parties lumineuses engagées, qu’il se délecte avec lenteur dans la réjouissance de sa solitude ; il regardera sur le sol fumer dans les globules blanchâtres cette vie mystérieuse, source des postérités anéanties, puis, passant le pied dessus, il se sentira le cœur joyeux, songeant qu’il a délivré Dieu.

antoine.

Où suis-je ? sont-ce les démons qui parlent ? il me semble que je descends sans en finir les escaliers de l’enfer ; la désolation ruisselle sur ma tête, la folie m’arrive. Grâce, Seigneur !

Il s’agenouille, ferme les yeux et multiplie les signes de croix.
La musique redouble, les hérésies s’agitent, les cordes ronflent, les flûtes soupirent.
les gnostiques.
Chœur énorme, composé de groupes différents : Saturniens, Marcosiens, Valentiniens, Nicolaïstes, etc. Un d’eux tient un livre.

N’écoute pas ces hommes tristes, ils sont fous, ce sont des païens de l’Asie, leur grand prophète Manès fut écorché comme imposteur avec une pointe de roseau, et sa peau, empaillée, pendue aux portes de Ctésiphon.

C’est nous qui sommes les sages, les savants, les purs !

Nous avons la prophétie de Bahuba, qui criait sur les montagnes, avec l’évangile de Philippe, que le feu ni l’eau ne peuvent détruire. Veux-tu savoir la vie du Christ avant son apparition sur la terre, la mesure exacte de sa taille, le nom de l’étoile où est son trône ? voici le livre de Noria, femme de Noë. Elle l’écrivit dans l’arche, durant les nuits, assise sur le dos d’un éléphant, à la lueur des éclairs. Voguant au milieu des grands flots qui roulaient le limon jaune de la création primitive, par les fentes du ciel que le tonnerre déchirait elle voyait Dieu, les esprits lumineux tournant sur leurs sphères, et les séraphins voyageurs qui passaient dans l’espace avec leurs ailes de flamme. C’est lui, celui-là ! prends-le ! tiens donc ! ouvre-le donc !… tiens ! nous l’ouvrons pour toi. Quoique les mots en soient d’une langue