Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/260

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perdue et que la bouche humaine ne puisse les dire, tu le liras tout courant comme les lettres de ton nom. Essaie !… Une ligne seulement !

l’orgueil.

Que risques-tu ? ne seras-tu pas libre de t’arrêter quand tu le voudras ?

la logique.

Les pensées qui t’obsèdent fuiront peut-être ?

antoine
hésite, les Gnostiques se rapprochent, l’Orgueil lui passe le livre tout ouvert par-dessus son épaule, il lit :

« Au commencement, Bythos était. De sa pensée, ainsi que de la parole du Dieu des Juifs, naquit l’Intelligence, qui épousa la Vérité ; de la Vérité et de l’Intelligence sortirent, sans un effort, le Verbe et la Vie, qui enfantèrent cinq couples pareils ; du Verbe et de la Vie issurent l’Homme et l’Église, qui formèrent six autres couples, parmi lesquels Paraclétos et Pistis produisirent Sophia et Télétos.

« Ces quinze couples font les quinze Syzygies, composées des trente Éons suprêmes, qui constituent le Plérome ou Ensemble supérieur et qui font Dieu. »

Antoine s’arrête.
les hérésies
à part.

Il lit, il lit, il est à nous… il est à nous !

antoine
continue.

« Barbelo est le prince du huitième ciel, Saldabaoth a fait les anges, la terre, les six cieux au-dessous de lui ; il a la forme d’un âne. »

antoine
jette le livre avec fureur et le foule aux pieds.

Non, non ! je ne continuerai pas, c’est la science du Diable. Oh ! que ma mémoire l’oublie et que mes yeux soient crevés pour m’en punir !