Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme dans un bois. J’ai des palais d’été en treillage de roseaux, et des palais d’hiver en marbre noir. Au milieu de lacs grands comme des mers, j’ai des îles rondes comme des pièces d’argent, toutes couvertes de nacre, et dont les rivages font de la musique, au battement des flots tièdes qui se roulent sur le sable. Les esclaves de mes cuisines prennent des oiseaux dans mes volières, et pêchent le poisson dans mes viviers. J’ai des graveurs continuellement assis pour creuser mon portrait sur des pierres dures, des fondeurs haletants qui coulent mes statues, des parfumeurs qui mêlent le suc des plantes à des vinaigres et battent des pâtes. J’ai des couturières qui me coupent des étoffes, des orfèvres qui me travaillent des bijoux, des coiffeuses qui sont à me chercher des coiffures, et des peintres attentifs, versant sur mes lambris des résines bouillantes, qu’ils refroidissent avec des éventails. J’ai des suivantes de quoi faire un harem, des eunuques de quoi faire une armée. J’ai des armées, j’ai des peuples ! J’ai dans mon vestibule une garde de nains portant sur le dos des trompes d’ivoire.

Antoine soupire.

J’ai des attelages de gazelles, des quadriges d’éléphants, des couples de chameaux par centaines, et des cavales à crinière si longue que leurs pieds y entrent quand elles galopent, et des troupeaux à cornes si larges que l’on abat les bois devant eux quand ils pâturent. J’ai des girafes qui se promènent dans mes jardins, et qui avancent leur tête sur le bord de mon toit, quand je prends l’air après dîner.