Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/424

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Il parvient à se tourner sur le côté droit, et il y reste les yeux ouverts, contemplant d’un air stupide les décombres de la chapelle. À la fin son regard rencontre le cochon.

Tiens ! le cochon ! il est toujours là, lui ! je le croyais mort… pourquoi ça ? je ne sais pas… Ah ! mais comme je suis fatigué ! qu’ai-je donc fait ? ah !

Il retombe sur le côté gauche.

Mon cœur ne bat plus, je ne le sens pas, il me semble que je suis comme les cailloux ; j’ai beau vraiment chercher quelque chose dans ma pensée, c’est comme en un vieux puits vide, abandonné, qui a des ronces sur ses bords, et au fond une grande tache noire.

Je n’ai souvenir de quoi que ce soit. Est-ce que jamais je ne bougerai de là ? Qu’est-ce donc que l’on entend par l’âme ? en ai-je une ?… après tout, qu’est-ce que cela me fait ?… Eh bien, si, j’en ai…, ah !

Il retombe.

Cependant je n’ai pas toujours vécu ainsi… autrefois… que je me rappelle… essayons de nous relever, allons ! un bon coup de reins ! ouf !

Il se relève tout à coup sur son séant, passe les mains sur sa figure, sa tête retombe sur ses genoux, il prend ses jambes dans ses bras et reste ainsi à réfléchir :

D’où viens-je ? où vais-je ? où ai-je été ? comment suis-je ici ? pourquoi donc mes mains sont-elles molles et mes genoux brisés ? Et je tremble en dedans de moi, comme la feuille du peuplier qui ne se repose jamais. Quand je chercherais, que j’essaierais, que je me fatiguerais, puisque je ne peux pas ! puisque c’est plus fort que ma force ! je ne comprends rien à tout cela, moi !

Il se met à pleurer.

Je ferais mieux de dormir… mais c’est que je n’ai pas sommeil… N’importe ! recouchons-nous !

le cochon.

Quand je resterai toujours là, comme un lézard, à regarder le même point, ça ne fera pousser ni une rave ni une grenade. Depuis le temps que j’y suis, les paupières m’en cuisent. Faisons un somme.

Antoine retombe sur le dos et s’assoupit, le cochon s’endort,