Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/426

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Au bout de quelques minutes.

Eh bien ! c’est étrange ! je croyais que, débarrassé d’elle, j’allais avoir une grande joie, pas du tout ! D’où vient donc, tout à l’heure en la frappant, que j’éprouvais du plaisir au pied à sentir sa figure qui me touchait ?

Voyons, changeons de place, je vais aller m’asseoir sur le banc.

Il se relève et se dirige lentement vers le banc qui est devant sa cabane, il s’y laisse tomber de tout son poids, croise les bras, puis baisse la tête sur sa poitrine et regarde par terre.

Qu’est-ce que je vais faire ?… si je priais ?… mais j’ai tant prié déjà ! Travailler plutôt ? on n’y voit pas, et puis il faudrait rallumer la lanterne. À quoi d’ailleurs ça m’avancera-t-il ? toujours ces corbeilles ! bel ouvrage, vraiment ! non ! Si je creusais un trou pour m’amuser ? je le boucherais ensuite ; ou bien si je me mettais à démolir pierre à pierre ma maison ?… Ah ! que je m’ennuie ! que je m’ennuie ! je voudrais faire quelque chose et je ne sais quoi ; je voudrais aller quelque part, je ne sais où ; je ne sais pas ce que je veux, je ne sais pas ce que je pense, je n’ai pas même la volonté de désirer vouloir.

Dire pourtant que j’ai passé toute ma vie ainsi, et que jamais je n’ai seulement vu danser la pyrrhique ! c’est pitoyable ! d’où diable cette idée me vient-elle ? et à propos de quoi ?

Il se lève d’un bond et se met à marcher vite de sa cabane à la chapelle, allant et revenant toujours sur la même ligne sans s’arrêter ; puis il se ralentit peu à peu et continue lentement, les mains derrière le dos.

C’est peut-être que je n’ai jamais été en pèlerinage… mais auquel ? il y en a beaucoup, tous sont bons ; cependant ceux qui revenaient de si loin ne m’en ont pas paru meilleurs. J’enviais leur figure hâlée, les coquilles qu’ils portaient sur l’épaule ; eux me montraient leurs pieds saignants et ne répondaient rien, sinon qu’ils avaient beaucoup marché.

Oh ! je sens pourtant que d’appuyer ma tête sur quelque pierre sainte me rafraîchirait l’âme, je veux des cierges brûlant parmi des tabernacles vermeils, et, dans les reliquaires d’or, des os de martyrs à baiser ; il me faudrait les grandes nefs où la voûte se mire dans les calmes bénitiers.

le cochon.

Jamais je n’aurai donc sous mon pauvre ventre du fumier jusqu’aux épaules ! dans un baquet d’eau sale je ne débarboterai pas mon groin joyeux ! Que ne suis-je dans la basse-cour,