Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/456

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le diable.

Écoute, c’est un dieu qui pleure !

apis.

J’avais autour de moi des lampes perpétuelles. La nuit, quand aux brises languissantes Osiris soupirait d’amour sur le sein limoneux de sa sœur endormie, dans les jarres de porphyre pleines d’huiles parfumées, je regardais brûler les longues mèches de byssus qui éclairaient en pétillant la figure des prêtres assoupis dans leurs fauteuils noirs.

Autrefois les filles de roi se faisaient ensépulturer dans des coffres faits à mon image, et personne ne savait où je disparaissais ; Sérapis ne s’ouvrait que pour recevoir ma momie, mais quand un rayon de soleil avait fécondé la génisse, que j’étais né, qu’on m’avait vu, l’on venait avec des hymnes me chercher dans mon herbage, et j’étais nourri pendant quatre lunes, la tête tournée du côté de l’Orient.

D’Héliopolis à Memphis les processions me conduisaient ; alors dans les bourgs, la nouvelle éclatait, joyeuse comme l’inondation ; alors on immolait le porc impur au seuil des maisons, les castagnettes sonnaient dans les blés, le cistre grinçait sur les bateaux qu’on démarrait, et du désert, du rivage, de la plaine et des montagnes, l’Égypte tout entière accourue se prosternait autour de moi dans le temple de Phta. J’étais Osiris, Sérapis, Anubis, j’étais Dieu ; j’étais le Démiurge apparu, l’Âme incarnée, le Grand-Tout qui se faisait visible, pacifique et beau !

Il fait encore quelques pas en reniflant.

Mais quelle odeur ! je vois au bord du fleuve les hommes, les bras nus, qui râclent des écorces avec des lames de fer.

la mort.

Oui, oui, résigne-toi, bel Epaphus ! ils t’écorcheront, te mangeront, te tanneront, ils feront des souliers avec ta peau, tu seras passé à la broche et détaillé en côtelettes, et l’on chassera dans le sillon tes petits-fils esclaves avec les tendons desséchés de tes jarrets.

Apis s’en va tout en boitant et mugissant.
antoine
regardant le Diable.

Eh bien ?

Le diable ne répond pas. Paraissent à la file l’un de l’autre, et se