Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/476

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chœur

Évohé ! Bacchus ! Évohé !

Abattez les échalas, et que le pampre mûr se couche sur la terre ! foulez du pied le raisin dans les pressoirs !

Dieu charmant, qui portes le baudrier d’or et qui t’avances dans les campagnes, joyeux comme le soleil, mire-toi dans ton miroir, bois à longs traits dans ton cratère sans fond. Évohé ! Bacchus ! Évohé !

Silène au large ventre te suit sur son âne, qui plie les reins de fatigue sous le poids du vieillard chauve ; Hephestus lui-même trébuchait dessus, lorsque tu l’amenas dans l’Olympe. La route était pavée d’étoiles, et Melthé, avec des pipeaux dans la bouche, allait devant et sautait comme un chevreau.

Tu es fort, fils de Sémélé ! tu as vaincu les Indes, la Thrace et la Lydie ; les armées entières s’enfuyaient quand Mimallon délirante hurlait dans les montagnes ; tes cymbales, la nuit, réveillaient les peuples endormis ; ils se pressaient autour de toi pour jouir de ta figure ; le vent chaud passait dans les forêts agitées, la sueur sur les corps coulait comme des parfums, les yeux des Bacchantes brillaient dans les feuillages.

Évohé ! Bacchus ! Évohé !

Père des théâtres et du vin, les dieux anciens se sont bouché les oreilles au scandale merveilleux du dithyrambe désordonné. À toi le rythme nouveau et les formes incessantes ! à toi le cerceau, la toupie, les dés, l’orange, et le van qui agite l’air, et la laine des moutons, grasse encore de la crasse des bergeries ! Tu as le rire des vendangeurs, les fontaines inconnues qui sourdent sous la terre, les festins aux flambeaux, et le renard qui se glisse dans les vignes, pour croquer les raisins verts.

Tu es terrible, tu as rendu furieuses les femmes d’Argos, tu as puni Thèbes, et la mer Tyrrhénienne ; le Cithéron retentit du bruit de tes orgies, qui va se répétant de colline en colline, et ta joie court de peuple en peuple ; tu délivres l’esclave, tu es saint ! tu es divin ! Évohé !

La Mort allonge son fouet et tout disparaît.
les muses
s’avancent dans des manteaux noirs, la tête basse.

Nous sommes tristes, nous portons le deuil de l’amour des hommes ; la vieillesse est venue, est-ce donc le temps de mourir ?

la mort.

Oui, oui !