Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/488

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Dieu en a puni de moins coupables, ne le prie plus ; moi, si tu me priais, je m’en irais.

antoine.

Ô père des tendresses, j’espère en toi, je crois en toi. Que béni soit ton nom ! que bénies soient tes œuvres et bénie soit ta colère même si elle tombe sur ma tête ! Je l’ai mérité, grâce ! Arrache l’orgueil de mon cœur et les rébellions de mon esprit. S’il faut que mes yeux soient tentés, que mes pieds trébuchent, que ma croyance défaille, ah ! que je sois plutôt comme les aveugles qui tâtonnent les murs, comme les paralytiques qui se traînent sur le ventre, et comme les pauvres idiots qui n’ont pas le sens de manger. Je m’humilierai de toutes mes forces, je m’abaisserai plus bas que la boue, plus bas que les fourmis et que les vers de terre. Toi seul es haut ! je ne cherche pas à te trouver, mais à t’aimer !

Je ne désire pas vivre, je ne désire pas mourir, j’ai peur de te déplaire ; fais-moi vivre si tu veux, appelle-moi quand tu voudras, je suis ton serviteur. Accorde à ma bouche les mots convenables, à mon cœur la componction, à ma ferveur la durée. Ô Sainte Vierge ! ô Jésus ! ô Saint-Esprit ! miséricorde ! miséricorde !

Je répéterai ton nom tous les jours et toutes les nuits, je l’écrirai avec mes mains sur les rochers, avec mes pas je le tracerai sur la poussière ; en travaillant je prierai, même en dormant je prierai encore… Oh ! Dieu ! Dieu ! Dieu ! Dieu !

Quelque chose qui est immense, quelque chose d’infini et d’une suavité turbulente, ouvre des ailes dans mon âme pour m’emporter vers toi, et ma tête est plus calme ; il me semble que l’enfer s’éloigne… tu me souris dans ta clémence.

La nuit se dissipe peu à peu, le matin arrive, un rayon de soleil traverse les nuages.
le cochon
se relève, secoue ses oreilles, se détend.

Ah ! enfin ! voilà le jour ! tant mieux ! je n’aime pas la nuit. Quel bon soleil ! cela vous chauffe. Ah ! le bon soleil ! quel bon soleil !

antoine
priant.

Tu m’as racheté de la malédiction de l’origine, bon Jésus, comme tu as dû souffrir ! et c’était pour nous, c’était pour moi ! Mais que puis-je faire, moi ?