Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/583

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et derrière, à la croupe, debout sur un pied, un nègre en bottines rouges, avec des bracelets de corail, tient à sa main une grande feuille ronde dont il l’évente, en souriant.
La foule se prosterne, l’éléphant plie les genoux, et la Reine de Saba, se laissant glisser de son épaule, descend sur les tapis et s’avance vers saint Antoine.
Sa robe en brocart d’or, divisée régulièrement par des falbalas de perles, de jais et de saphirs, lui serre la taille dans un corsage étroit rehaussé d’applications de couleur qui représentent les douze signes du Zodiaque. Elle a des patins très hauts dont l’un est noir et semé d’étoiles d’argent, avec un croissant de lune, et l’autre, qui est blanc, est couvert de gouttelettes d’or, avec un soleil au milieu.
Ses larges manches, garnies d’émeraudes et de plumes d’oiseaux, laissent voir à nu son petit bras rond orné, au poignet, d’un bracelet d’ébène ; et ses mains, chargées de bagues, se terminent par des ongles si pointus, que le bout de ses doigts ressemble presque à des aiguilles. Une chaîne d’or plate lui passant sous le menton monte le long de ses joues, s’enroule en spirale autour de sa haute coiffure, poudrée de poudre bleue, puis, redescendant, lui effleure les épaules et vient s’attacher sur la poitrine à un petit scorpion de diamant qui allonge la langue entre ses seins.
Deux grosses perles blondes tirent ses oreilles. Le bord de ses paupières est peint en noir. Elle a sur la pommette gauche une tache brune, et elle respire en ouvrant la bouche, comme si son corset la gênait.
Elle secoue, tout en marchant, un parasol vert à manche d’ivoire, entouré de sonnettes vermeilles, et douze négrillons crépus portent la longue queue de sa belle robe, dont un singe tient l’extrémité qu’il soulève de temps à autre, pour regarder dessous.
la reine de saba.

Ah ! bel ermite ! bel ermite ! mon cœur défaille !

antoine
en se reculant.

Va-t’en ! tu es une illusion ! je le sais, arrière !

la reine de saba.

À force de piétiner d’impatience, il m’est venu des calus au talon et j’ai cassé un de mes ongles. J’envoyais des bergers qui restaient debout sur les montagnes, la main étendue devant les yeux, et des chasseurs qui criaient ton nom dans les bois, et des espions qui parcouraient toutes les routes, en demandant à chaque passant : « L’avez-vous vu ? »