Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/633

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
reçoit les offrandes de la foule : œufs, raisins, fromages mous, lièvres dont on voit passer les oreilles, volailles plumées, poires en quantité, monnaie de cuivre, et dont l’autre, moitié pleine, contient des feuilles de roses que les conducteurs de l’âne jettent devant eux, tout en marchant. Ils ont des bottines à lacets, les cheveux nattés, de grands manteaux, des pendants d’oreilles et les joues couvertes de fard. Une couronne en branche d’olivier se rattache au milieu de leur front par un médaillon à figurine, entre deux autres plus petits, et ils en portent une troisième plus large, sur leur poitrine nue. Des poinçons, des poignards sont passés dans leur ceinture, et ils brandissent des fouets à manche d’ébène jaune, dont la triple lanière est garni d’osselets de mouton.
On ôte d’abord la housse de la boîte, recouverte en dessous d’un feutre noir : la foule s’écarte, l’âne s’arrête. Un de ces hommes, retroussant son vêtement, se met à danser tout autour en jouant des crotales ; un autre, agenouillé devant la boîte, bat du tambourin, et le plus vieux de la bande commence d’une voix nasillarde :
l’archi-galle.

Voilà la Bonne Déesse ! L’Idéenne des montagnes ! La Grand’Mère de Syrie ! Approchez, braves gens ! Elle est assise entre deux lions, porte sur la tête une couronne de tours et procure beaucoup de biens à tous ceux qui la voient.

C’est nous qui la promenons dans les campagnes, sous les feux du soleil, pendant les pluies d’hiver, par beau et mauvais temps. Elle gravit les défilés, elle glisse sur les pelouses, elle traverse les ruisseaux. Souvent, faute de gîte, nous couchons en plein air et nous n’avons pas tous les jours de table bien servie. Des voleurs habitent les bois, les bêtes féroces hurlent effroyablement dans leurs cavernes, il y a des chemins impraticables et pleins de précipices !… La voilà ! la voilà !

Ils ôtent la couverture de laine et l’on voit une boîte de sycomore incrustée de petits cailloux.

Plus grande que les cèdres, elle plane dans l’éther bleu ; plus vaste que le vent, elle entoure le monde. Son souffle s’exhale par les naseaux des panthères, par la feuille des plantes, par la sueur des corps. Ses pleurs d’argent arrosent les prairies, son sourire est la lumière et c’est le lait de sa poitrine qui a blanchi la lune. Elle fait couler les fontaines, elle fait pousser la barbe, elle fait craquer l’écorce des pins qui se balancent dans les forêts. Donnez-lui quelque chose, car elle déteste les avares !

La boîte s’entr’ouvre, et l’on aperçoit, sous un pavillon de soie rose, une petite image de Cybèle tout étincelante de paillettes, dans un char de pierre couleur de vin traîné par deux lions crépus la patte levée. Les paysans se poussent pour mieux voir, l’homme