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NOTES

où s’est élevé depuis le monastère de Pispir. Il en mura l’entrée avec de grosses pierres et s’y cloîtra ; il avait trouvé de l’eau à l’intérieur et, tous les six mois, quelqu’un lui apportait son pain, en le faisant passer par-dessus le mur. La tranquillité qu’il espérait ne fut pourtant pas de longue durée : d’abord, les tentations recommencèrent de plus belle ; ensuite, la nouveauté et les mérites exceptionnels de son genre de vie ne restèrent point ignorés et bientôt nombre de gens montèrent vers sa retraite pour le voir, plusieurs déjà pour l’imiter ; lui, refusait de se montrer ; eux, finirent un beau jour par s’abandonner à leur zèle ; ils arrachèrent les pierres de la clôture et Antoine dut leur céder ; depuis vingt ans déjà il habitait en ce lieu. Il se résigna durant quelque temps, sans abandonner Pispir, ni se relâcher de son austérité, à vivre presque sur les confins du siècle : il instruisait les hommes désireux de marcher dans ses voies, il donnait de bons conseils, apaisait des querelles, soulageait des malades que le diable tourmentait ; mais il regrettait sa solitude et le temps où il s’appartenait tout entier. Autour de sa ruine, ses disciples, déjà nombreux, avaient bâti leurs cellules ; des visiteurs le dérangeaient de sa méditation, n’étaient poussés que par une vaine curiosité ou des soucis tout mondains ; alors, il s’échappa en secret ; il suivit vers la mer Rouge une caravane de Sarrazins, et, après trois jours et trois nuits de marche en sa compagnie, il s’arrêta au pied du mont Colzim. Quelques trous de carrière au sommet du rocher, une source fraîche et un bouquet de palmiers au bas ; il ne demandait pas davantage, et ce fut là qu’il s’établit. Par malheur, ses compagnons de route bavardèrent quand ils revinrent sur le Nil et les « frères » de Pispir ne tardèrent pas à savoir où leur « Père » se cachait. En vain, pour éviter le principal prétexte de leurs visites, s’efforça-t-il de cultiver un petit coin de terre qui lui donnerait sa nourriture, ils furent plus forts que lui. D’abord, il se laissa toucher par l’héroïque patience d’un pauvre homme — c’est saint Paul le Simple — qui était venu chercher près de lui l’oubli d’une infortune conjugale irréparable, et il lui permit de s’aménager une cellule à quelque distance de la sienne ; puis d’autres visiteurs, pleins d’un zèle infatigable, se logèrent dans des cavités qui se trouvaient au pied à la montagne ; il dut les y tolérer et il finit par consentir à venir de temps en temps les encourager et les édifier. Comme jadis à Pispir, affluèrent bientôt à Colzim les possédés, les malheureux et les curieux. Antoine se débarrassait d’eux comme il pouvait, mais il en venait d’autres, surtout du jour où un clerc ingénieux s’avisa d’organiser pour eux un véritable service de chameaux entre le Nil et Colzim. Dès qu’il en était libre, notre saint retournait à son isolement, au sommet du rocher. La vieillesse ne le priva d’aucune de ses facultés ; toutefois, sur la fin de ses jours, il se résigna à la compagnie, et aux