l’oreille aux lectures saintes et ce fut alors qu’il accumula, dans
sa mémoire vierge, les fragments de l’Écriture qui nourriront,
durant toute sa vie, sa méditation et son esprit ; alors aussi qu’il
s’assimila les affirmations dogmatiques, pour la défense desquelles
il osera, à plus de quatre-vingts ans, quitter sa cellule et entrer
dans Alexandrie. Il avait dix-huit ou vingt ans quand il perdit
son père et sa mère. Je croirais volontiers qu’il s’effraya du
trouble que l’obligation de diriger l’exploitation des terres familiales
et de veiller à l’éducation de sa jeune sœur allait jeter dans
sa vie ; quoi qu’il en soit, il se prit à considérer avec une sympathie
grandissante l’exemple donné aux temps héroïques de
l’Église par les fidèles qui vendirent leurs biens, en déposaient
le prix aux pieds des Apôtres et tournaient toutes leurs pensées
vers le Royaume de Dieu. Or, un jour qu’il entrait à l’église, on
lisait l’histoire du jeune homme qui demanda au Christ la bonne
recette pour obtenir la vie éternelle, et il entendit la réponse du
Maître : « Si tu veux être parfait, va : vends ce que tu possèdes ;
donnes-en le prix aux pauvres et tu auras un trésor dans le Ciel ;
puis, viens et suis-moi. » (Mt. 1921). Il vit dans ce hasard un
avertissement d’en haut ; sans plus balancer, il s’en fut distribuer
ses terres à ses voisins et fit largesse de ses autres biens aux
indigents d’alentour, mis à part une petite réserve qu’il destinait
à l’entretien de sa sœur ; encore y renonça-t-il peu après pour
avoir été frappé par cet autre précepte évangélique : « Ne vous
inquiétez pas du lendemain. » Il confia la jeune fille à quelques
vierges éprouvées et, selon toute apparence, ne prit plus d’elle
aucun souci ; au reste, elle mena, de son côté, une vie fort édifiante
et telle que son frère la pouvait souhaiter.
En ce temps-là, il y avait déjà au pays d’Égypte des hommes qui cherchaient à s’abstraire du monde en menant une vie austère dans une demeure isolée, mais ils ne s’éloignaient jamais beaucoup des habitations et on les voyait fort assidus aux offices de l’église. Antoine s’en fut chercher les conseils d’un vieux solitaire de ce genre, puis il revint vivre selon la même méthode au voisinage de Coma ; il travaillait de ses mains pour gagner son pain. Parfois, il allait visiter tel ou tel de ses émules, dont il avait ouï parler, et s’efforçait de faire sien le principal mérite qu’il reconnaissait en lui. Enflammé du désir de surpasser tous les autres, il ne tarda point à découvrir un notable perfectionnement de la vie solitaire : il élut domicile dans un tombeau, à quelque distance de son village ; il en ferma soigneusement la porte et il y demeura une dizaine d’années ; un de ses anciens familiers lui apportait, à de longs intervalles, une provision de pain qu’il mangeait, selon la coutume du pays, après l’avoir fait ramollir dans l’eau. D’effroyables tentations l’assaillaient ; il crut les décourager en s’éloignant davantage des lieux habités, et il vint se loger dans un château ruiné, dominant le Nil, à l’endroit