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Page:Gustave Toudouze - Péri en mer, 1905.pdf/146

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son cerveau halluciné, celui du héros qui délivra son pays de la tyrannie des hommes du Nord, Alain Barbe-Torte, Alain le Renard.

En lui s’incarnaient toutes les qualités du héros des bardits qu’on lui avait appris, sa force, sa beauté, ses aventures, ses exploits, son nom ; elle ne le lui donnait jamais, le réservant pour elle seule, comme un secret qui aurait existé entre eux deux et que nul autre ne devait connaître.

De son côté, absolument docile, comme dompté par la main faible de la pauvre petite, Hervé, l’aventurier, le cynique, se laissait faire, obéissait à tout ce qu’elle lui demandait, n’essayant jamais de résister.

Une espèce de superstition s’attachait pour lui à la malheureuse déshéritée, pour laquelle il avait retrouvé ses excessives tendresses d’enfant, et dont l’âme lui semblait avoir reçu la visite de quelque force surnaturelle.

Les jours coulaient ainsi, monotones, de cette monotonie sans fatigues, sans désirs, qui est la vie des pêcheurs bretons.

Parfois, une lassitude de cette existence endormie prenait Jean-Marie-Hervé ; de gros découragements s’abattaient soudain sur lui, lui faisaient laisser sa barque à l’ancre au milieu du port, lorsque toutes celles des camarades étaient au large, les unes pour le maquereau, d’autres pour la vieille, pour le lieu, les plus hardies très loin,