« Resté seul, j’eus, pendant quelques secondes, ce trouble effaré des réveils après les cauchemars. Puis je repris enfin mes sens ; je courus à la fenêtre et je brisai les contrevents d’une poussée furieuse.
« Un flot de jour entra. Je m’élançai sur la porte par où cet être était parti. Je la trouvai fermée et inébranlable.
« Alors une fièvre de fuite m’envahit, une panique, la vraie panique des batailles. Je saisis brusquement les trois paquets de lettres sur le secrétaire ouvert ; je traversai l’appartement en courant, je sautai les marches de l’escalier quatre par quatre, je me trouvai dehors je ne sais par où, et, apercevant mon cheval à dix pas de moi, je l’enfourchai d’un bond et partis au galop.
« Je ne m’arrêtai qu’à Rouen, et devant mon logis. Ayant jeté la bride à mon ordonnance, je me sauvai dans ma chambre où je m’enfermai pour réfléchir.
« Alors, pendant une heure, je me demandai anxieusement si je n’avais pas été le jouet d’une hallucination. Certes, j’avais eu un de ces incompréhensibles ébranlements nerveux, un de ces affolements du cerveau qui enfantent les miracles, à qui le Surnaturel doit sa puissance.
« Et j’allais croire à une vision, à une erreur de mes sens, quand je m’approchai de ma fenêtre. Mes yeux, par hasard, descendirent sur ma poitrine. Mon dolman était plein de cheveux, de longs cheveux de femme qui s’étaient enroulés aux boutons !
« Je les saisis un à un, et je les jetai dehors avec des tremblements dans les doigts.
« Puis j’appelai mon ordonnance. Je me sentais trop ému, trop troublé, pour aller le jour même chez mon ami. Et puis je voulais mûrement réfléchir à ce que je devais lui dire.
« Je lui fis porter ses lettres, dont il remit un reçu au soldat. Il s’informa beaucoup de moi. On lui dit que j’étais souffrant, que j’avais reçu un coup de soleil, je ne sais quoi. Il parut inquiet.
« Je me rendis chez lui le lendemain, dès l’aube, résolu à lui dire la vérité. Il était sorti de la veille au soir et pas rentré.