Page:Guy de Maupassant - Notre Cœur.djvu/235

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ment, la vie passionnée, belle et tendre d’autrefois, et ne goûtaient plus rien de sa saveur perdue.

— Bonsoir ! dit-il, je vais me coucher.

Il rentra chez lui, s’assit à sa table, et écrivit :

« Adieu, madame. Vous rappelez-vous ma première lettre ? Je vous disais adieu aussi ; mais je ne suis pas parti. Comme j’ai eu tort ! J’aurai quitté Paris quand vous recevrez celle-ci. Ai-je besoin de vous expliquer pourquoi ? Les hommes comme moi ne devraient jamais rencontrer les femmes comme vous. Si j’étais un artiste et si mes émotions pouvaient être exprimées de manière à m’en soulager, vous m’auriez peut-être donné du talent ; mais je ne suis rien qu’un pauvre garçon en qui est entrée, avec mon amour pour vous, une atroce et intolérable détresse. Quand je vous ai rencontrée, je ne me serais pas cru capable de sentir et de souffrir de cette façon. Une autre, à votre place, aurait versé en mon cœur une allégresse divine en le faisant vivre. Mais vous n’avez pu que le torturer. C’est malgré vous, je le sais ; je ne vous reproche rien, et je ne vous en veux pas. Je n’ai même pas le droit de vous écrire ces lignes. Pardonnez-moi. Vous êtes ainsi faite que vous ne pouvez pas sentir comme je sens, que vous ne pouvez pas seulement deviner ce qui se passe en moi quand j’entre chez vous, quand vous me parlez et quand je vous regarde. Oui, vous consentez, vous m’acceptez, et vous m’offrez même un paisible et raisonnable bonheur dont je devrais vous