Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/183

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comme un étranger maintenant. Je ne puis pas croire que je sois sa femme. Vous voyez, je m’amuse de ses… de ses… de ses indélicatesses. »

Et, sans bien savoir pourquoi, ils s’embrassèrent, encore souriants et attendris.

Mais deux jours plus tard, après le déjeuner, alors que Julien partait à cheval, un grand gars de vingt-deux à vingt-cinq ans, vêtu d’une blouse bleue toute neuve, aux plis raides, aux manches ballonnées, boutonnées aux poignets, franchit sournoisement la barrière, comme s’il eût été embusqué là depuis le matin, se glissa le long du fossé des Couillard, contourna le château et s’approcha, à pas suspects du baron et des deux femmes, assis toujours sous le platane.

Il avait ôté sa casquette en les apercevant, et il s’avançait en saluant, avec des mines embarrassées.

Dès qu’il fut assez près pour se faire entendre, il bredouilla : « Votre serviteur, monsieur le baron, madame et la compagnie. » Puis, comme on ne lui parlait pas, il annonça : « C’est moi que je suis Désiré Lecoq. »

Ce nom ne révélant rien, le baron demanda : « Que voulez-vous ? »

Alors le gars se troubla tout à fait devant la nécessité d’expliquer son cas. Il balbutia en baissant et en relevant les yeux coup sur coup, de sa casquette qu’il tenait aux mains au sommet du toit du château : « C’est m’sieu l’curé qui m’a touché deux mots au sujet de c’t’affaire… » puis il se tut par crainte d’en trop lâcher, et de compromettre ses intérêts.

Le baron, sans comprendre, reprit : « Quelle affaire ? Je ne sais pas, moi. »