Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/282

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être bientôt majeur ; tu me tireras d’un grand embarras.

« Adieu, ma chère maman, je t’embrasse de tout mon cœur, ainsi que grand-père et tante Lison. J’espère te revoir bientôt.

« Ton fils,
« Vicomte Paul de Lamare. »

Il lui avait écrit ! Donc il ne l’oubliait pas. Elle ne songea point qu’il demandait de l’argent. On lui en enverrait puisqu’il n’en avait plus. Qu’importait l’argent ! Il lui avait écrit !

Et elle courut, en pleurant, porter cette lettre au baron. Tante Lison fut appelée ; et on relut, mot à mot, ce papier qui parlait de lui. On en discuta chaque terme.

Jeanne, sautant de la complète désespérance à une sorte d’enivrement d’espoir, défendait Paul : « Il reviendra, il va revenir puisqu’il écrit. »

Le baron, plus calme, prononça : « C’est égal, il nous a quittés pour cette créature. Il l’aime donc mieux que nous, puisqu’il n’a pas hésité. »

Une douleur subite et épouvantable traversa le cœur de Jeanne ; et tout de suite une haine s’alluma en elle contre cette maîtresse qui lui volait son fils ; une haine inapaisable, sauvage, une haine de mère jalouse. Jusqu’alors toute sa pensée avait été pour Paul. À peine songeait-elle qu’une drôlesse était la cause de ses égarements. Mais soudain cette réflexion du baron avait évoqué cette rivale, lui avait révélé sa puissance fatale ; et elle sentit qu’entre cette femme et elle une lutte commençait, acharnée ; et elle sentait aussi qu’elle aimerait mieux perdre son fils que de le partager avec l’autre.