Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/301

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ayant souffert en ce jour autant qu’en ses plus grands chagrins.

Rosalie était revenue et l’attendait, enchantée de la nouvelle maison, la déclarant bien plus gaie que ce grand coffre de bâtiment qui n’était seulement pas au bord d’une route.

Jeanne pleura toute la soirée.

Depuis qu’ils savaient le château vendu, les fermiers n’avaient pour elle que bien juste les égards qu’ils lui devaient, l’appelant entre eux « la Folle », sans trop savoir pourquoi, sans doute parce qu’ils devinaient, avec leur instinct de brutes, sa sentimentalité maladive et grandissante, ses rêvasseries exaltées, tout le désordre de sa pauvre âme secouée par le malheur.

La veille de son départ, elle entra, par hasard, dans l’écurie. Un grognement la fit tressaillir. C’était Massacre auquel elle n’avait plus songé depuis des mois. Aveugle et paralytique, parvenu à un âge que ces animaux n’atteignent guère, il vivotait encore sur un lit de paille, soigné par Ludivine qui ne l’oubliait pas. Elle le prit dans ses bras, l’embrassa, et l’emporta dans la maison. Gros comme une tonne, il se traînait à peine sur ses pattes écartées et raides, et il aboyait à la façon des chiens de bois qu’on donne aux enfants.

Le dernier jour enfin se leva. Jeanne avait couché dans l’ancienne chambre de Julien, la sienne étant démeublée.

Elle sortit de son lit, exténuée et haletante, comme si elle eût fait une grande course. La voiture contenant les malles et le reste du mobilier était déjà chargée dans la cour. Une autre carriole à deux roues était