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Elle demeurait souvent pendant des heures, immobile, éloignée dans ses songeries ; et son habitation des Peuples lui plaisait infiniment parce qu’elle prêtait un décor aux romans de son âme, lui rappelant et par les bois d’alentour, et par la lande déserte, et par le voisinage de la mer, les livres de Walter Scott qu’elle lisait depuis quelques mois.

Dans les jours de pluie, elle restait enfermée en sa chambre à visiter ce qu’elle appelait ses « reliques ». C’étaient toutes ses anciennes lettres, les lettres de son père et de sa mère, les lettres du baron quand elle était sa fiancée, et d’autres encore.

Elle les avait enfermées dans un secrétaire d’acajou portant à ses angles des sphinx de cuivre ; et elle disait d’une voix particulière : « Rosalie, ma fille, apporte-moi le tiroir aux souvenirs. »

La petite bonne ouvrait le meuble, prenait le tiroir, le posait sur une chaise à côté de sa maîtresse qui se mettait à lire lentement, une à une, ces lettres, en laissant tomber une larme dessus de temps en temps.

Jeanne parfois remplaçait Rosalie et promenait petite mère qui lui racontait des souvenirs d’enfance. La jeune fille se retrouvait dans ces histoires d’autrefois, s’étonnant de la similitude de leurs pensées, de la parenté de leurs désirs ; car chaque cœur s’imagine ainsi avoir tressailli avant tout autre sous une foule de sensations qui ont fait battre ceux des premières créatures et feront palpiter encore ceux des derniers hommes et des dernières femmes.

Leur marche lente suivait la lenteur du récit que des oppressions parfois interrompaient quelques secondes ; et la pensée de Jeanne alors, bondissant par--