Page:Guyau - Éducation et Hérédité.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
89
L’ÉDUCATION PHYSIQUE ET L’HÉRÉDITÉ.

d’une multitude d’élèves. Si un élève est robuste et habile, fût-il le dernier des ignorants, on place sur sa tête l’espoir des prochains triomphes ; il devient le maître et le maître absolu. Les professeurs et principaux sont obligés de se subordonner aux nécessités des jeux. La culture intellectuelle passe après la culture athlétique. Quant à la moralité, M. Littleton prétend que, si les jeux sont utiles pour refréner certains désordres, ils n’ont rien par eux-mêmes de moralisateur. « Les purs travailleurs sont aussi moraux que les purs athlètes ». Selon M. Littleton, la cause de cet excès est l’engouement du public et son intervention exagérée dans le spectacle des jeux.

Malgré tous ces inconvénients, il faut cependant convenir que cette éducation d’athlètes, maintenue dans de justes limites, est pour la race une condition de régénération et de force héréditaire. Si les paresseux, en Angleterre, deviennent des hercules, c’est une consolation et une compensation pour la race. Nos paresseux à nous, sont de « petits crevés », propres à faire disparaître notre race.

Examinons maintenant comment les choses se passent en Allemagne. Un homme particulièrement compétent sur cette question, M. Michel Bréal, va nous l’apprendre. Là on s’enquiert de quelque famille de bonne volonté, jouissant d’une réputation honorable, qui veuille donner à l’enfant le vivre et le couvert. Il y est reçu comme le camarade des enfants de la maison, et il y a sa place au foyer. Le tout pour une rémunération quelquefois étonnamment petite, le jeune hôte n’est pas embarrassant, une chambrette inoccupée lui suffit et sa place à table n’augmente pas beaucoup la dépense. L’Allemagne pratique depuis deux cents ans le mode que nous venons de décrire, et elle ne songe pas à y renoncer : « actuellement, sur mille élèves fréquentant les gymnases, il n’y en a pas cent qui soient placés hors de la vie de famille[1] ». L’inter-

  1. Ce systême existait aussi en France autrefois. « Je suis né, dit M. Renan, dans une petite ville de la Basse-Bretagne, où se trouvait un collège tenu par de respectables eccclésiastiques qui enseignaient fort bien le latin. Il s’exhalait de cette maison un parfum de vétusté qui, quand j’y pense, m’enchante encore : on se fût cru transporté au temps de Rollin ou des solitaires de Port-Royal. Ce collège donnait l’éducation à toute la jeunesse de la petite ville et des campagnes dans un rayon de six ou huit lieues à la ronde. Il comptait très peu d’internes. Les jeunes gens, quand ils n’avaient pas leurs parents dans la ville, demeuraient chez les habitants, dont plusieurs trouvaient, dans l’exercice de cette hospitalité, de