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L’ÉDUCATION PHYSIQUE ET L’HÉRÉDITÉ.

veut savoir l’anglais ou l’allemand, il faut l’apprendre après avoir terminé ses études. Le professeur d’histoire leur apprend l’histoire et la géographie, mais avec un tel luxe de détails et une érudition si merveilleuse, que cet enseignement ne peut donner aucune idée ni de l’ensemhle d’une contrée, ni de l’enchaînement des faits ». Que peuvent faire ces enfants en présence de ces six professeurs qui leur apportent une quantité de « thèses sur les auteurs français, les auteurs latins, les auteurs grecs, les auteurs allemands », des démonstrations à n’en plus finir sur la géométrie etsur l’arithmétique, d’interminables nomenclatures d’histoire naturelle, une quantité de faits historiques à faire frémir un bénédictin ? « Ce qu’il y a de mieux à faire pour cet écolier de tant de maîtres, c’est d’enregistrer au plus vite toutes ces belles choses dans sa tête. Qu’il se garde bien de leur dire au fur et à mesure qu’elles se présentent : Détail, que me veux-tu ? idée, que me veux-tu ? Il n’a pas le temps, il n’a pas le temps. S’il leur disait : Voyons un peu ce que tu signifies…, le professeur serait déjà à deux ou trois idées en avant, il n’aurait plus la chance de le rattraper ; le voisin et le concurrent aurait emmagasiné une douzaine d’idées pendant qu’il s’arrêterait ainsi à la première : il serait le dernier de la classe ! Quand il s’est ainsi rempli et bourré, quand il a tassé et pressé toutes ses marchandises, un moment vient où il est contraint de se dire : il n’y a plus de place ! et le professeur est par derrière qui lui dit : — Encore un peu de courage ! voilà encore une cinquantaine défaits que je vous apporte, et une douzaine de démonstrations. Le produit net est qu’à la fin de l’année nos lycéens sont remplis d’idées qu’ils ne comprennent pas et de faits qu’ils n’ont pas contrôlés. Les faits sont-ils vrais, les idées sont-elles fausses ? Ce n’est pas leur affaire. Il s’agit de retenir, il ne s’agit pas de juger. Un jury de professeurs se réunit en robes de soie jaune ou de soie rose ; ils font comparaître devant eux les délinquants, et leur font tirer au sort des numéros. — Messieurs, il y a cinquante faits à dire pour chaque numéro. — Si un candidat répond : J’en sais soixante, — ce qui est rare, il est reçu le premier ». Et après ? ce bachelier, ce licencié ou ce docteur, qu’est-il ? un magasin ayant dans ses coffres et sur ses rayons toutes sortes d’idées dont il ne connaît pas la valeur, et de faits dont il ne connaît pas l’authenticité ; sa mémoire est tellement surchargée que, quand il essaye de vivre en traî-