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L’ÉDUCATION INTELLECTUELLE.

comprendre sur le papier à l’enfant le fonctionnement d’une machine à vapeur, on lui en donne un modèle raccourci ; il faut qu’il en démonte toutes les pièces, qu’il les rajuste, qu’il refasse lui-même la machine. L’éminent physicien anglais Tyndall a fait un charmant petit volume sur l’électricité, pour montrer qu’un enfant d’une intelligence ordinaire pouvait construire lui-même la plupart des instruments de démonstration employés en électricité, avec une dépense de quelques francs. Il faut développer par tous les moyens l’initiative de l’enfant. On doit le faire dans la classe même par les devoirs oraux, les devoirs écrits, les résumés de vive voix ou écrits, etc. La maïeutique est la meilleure méthode d’éducation toutes les fois qu’elle est possible[1]. Ce qui est essentiel, c’est de provoquer le désir de l’action et l’activité même. Partout et toujours triomphent chez nous les méthodes purement mnémotechniques. C’est là ce faux savoir que Leibnitz appelait ingénieusement le psittacisme. Quel est le but de l’homme ? D’être homme, au sens vrai et complet, de dégager de lui tout ce qui est dans la nature humaine. Quelle voie et quel moyen pour cela ? L’action. Voltaire écrivait ce mot en 1727, renouvelant le principe de l’antiquité, la tradition de la Grèce, la philosophie de l’énergie, de l’action. La même pensée, indiquée par Locke, éclate dans le livre anglais par excellence, le Robinson. Elle se reproduit dans l’Émile. Michelet, à son tour, est enthousiaste de l’action. Il faut, dit-il, recomposer l’homme même, ne plus le mutiler en exagérant telle partie, telle faculté, et supprimant les autres ; ne pas détruire en lui les facultés actives, ramener dans la classe

  1. « Mon père m’accoutumait doucement, patiemment, à voir et à penser par moi-même, au lieu de m’imposer ses idées, que mon humeur docile et soumise eût aveuglément acceptées. Jamais je n’ai vu professeur plus modeste et moins dogmatique. Il n’affirmait pour ainsi dire rien, et se contentait d’attirer mon attention sur les choses, sans dire ce qu’il en savait. Quand nous entrions dans un bois, par exemple, il me donnait une leçon à chaque pas, et je ne me sentais point à l’école. J’avais pris insensiblement l’habitude d’étudier les couches de terrain chaque fois qu’un talus coupé les mettait en lumière. Je nommais les animaux et les plantes par leurs noms, je les classais en tâtonnant un peu, et il me laissait faire, sauf à me ramener d’un mot ou d’un sourire, lorsque je m’égarais. Il avait le don de tout envisager au point de vue pratique : il distinguait soigneusement les animaux utiles des animaux nuisibles, et j’ai appris de bonne heure à respecter la taupe, le crapaud, la chauve-souris, la couleuvre, les oiseaux insectivores, et tous nos amis méconnus. »
    Edmond About, le Roman d’un brave homme.