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L’ÉDUCATION MORALE.

de son règne si court, l’empereur Frédéric III écrivait à M. de Bismarck : « Je considère que la question des soins à donner à l’éducation de la jeunesse est intimement liée aux questions sociales. Une éducation plus haute doit être rendue accessible à des couches de plus en plus étendues ; mais on devra éviter qu’une demi-instruction ne vienne à créer de graves dangers, qu’elle ne fasse naître des prétentions d’existence que les forces économiques de la nation ne sauraient satisfaire. Il faut également éviter qu’à force de chercher exclusivement à accroître l’instruction, on n’en vienne à négliger la mission éducatrice. » Et en effet, le premier rang dans l’école appartient à l’enseignement moral et civique, qui est le plus éducateur.


II. Si l’instruction doit être avant tout morale, est-il possible d’enseigner méthodiquement la science des mœurs ? — La morale est, pour nous, en partie positive, en partie conjecturale. Il y a, dans la partie positive, un théorème fondamental qui devrait, à notre avis, être aussi le fondement de l’instruction morale. Ce théorème, dont nous avons montré plus haut l’importance, est celui de la corrélation entre l’intensité de la vie et son expansion vers autrui. C’est ce que nous avons appelé la fécondité morale. En vertu même de son intensité, nous l’avons vu, la vie tend à déborder au dehors, à se répandre, à se dépenser et, en se dépensant, à s’accroître ; car, encore une fois, c’est la loi de la vie de ne se conserver qu’en se donnant, de ne s’enrichir qu’en se prodiguant. Cette loi est vraie même pour la vie physique, qui est cependant la plus égoïste, la plus fermée, la plus concentrée en apparence dans le moi. Toutes les fonctions physiques n’en aboutissent pas moins à ce terme commun : dépense, mouvement vers le dehors, expansion. La nutrition accrue tend à éveiller le besoin de propager notre être dans un autre être ; la respiration et la circulation exigent le mouvement et l’exercice, c’est-à-dire une dépense extérieure : toute vie robuste et intense a besoin d’action. Quand il s’agit de la vie psychique, le besoin d’expansion est plus vif encore, et, dans ce domaine, la vraie expansion est celle qui a lieu vers autrui, bien plus, pour autrui. L’harmonie des forces

    une situation immédiate, et qui ne risqueront pas d’augmenter le nombre des déclassés, cette plaie des sociétés modernes.