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L’ÉDUCATION MORALE.

faire que les enfants trouvent leur plaisir dans la vertu et leur peine dans la faute. Ce n’est pas l’utilité du bien qu’il faut surtout leur enseigner, c’est sa beauté, qui fait que le bien procure par lui-même une jouissance immédiate.

L’école utlilitaire, en voulant faire reposer l’éducation morale sur l’imitation des exemples, sur la considération de l’utilité et sur les conséquences bienfaisantes de l’altruisme, diminue chez les enfants l’esprit vraiment moral, en leur enlevant la puissance de faire le bien pour le bien même, indépendamment de ce que les autres ont fait, font ou feront. Kant semblait prévoir d’avance la pédagogie anglaise, application conséquente delà psychologie anglaise : cherchant pourquoi les traités de morale, même ceux qui montrent par le plus d’exemples les heureux effets du bien, ont pourtant si peu d’influence, il se demandait si cette inefficacité n’avait pas sa raison dans le mélange même de l’idéal du bien avec des éléments étrangers. « Les moralistes, dit-il, n’ont jamais entrepris de ramener leurs concepts à leur expression la plus pure ; en cherchant de tous côtés, avec la meilleure intention du monde, des mobiles au bien moral, ils gâtent le remède qu’ils veulent rendre efficace. En effet, l’observation la plus vulgaire prouve que, si on nous présente un acte de probité pur de toute vue intéressée sur ce monde ou sur un autre, et où il a fallu même lutter contre les rigueurs de la misère ou contre les séductions de la fortune ; et si on nous montre, d’un autre côté, une action semblable à la première, mais à laquelle ont concouru, si légèrement que ce soit, des mobiles étrangers, la première laisse bien loin derrière elle et obscurcit la seconde : elle élève l’âme et lui inspire le désir d’en faire autant. Les enfants mêmes qui atteignent l’âge de raison éprouvent ce sentiment, et on ne devrait jamais leur enseigner leurs devoirs d’une autre manière. La moralité a d’autant plus de force sur le cœur humain qu’on la lui montre plus pure. » Et, en vérité, n’est-ce pas là une affaire de pure logique ? Un dénouement heureux, par exemple, implique la possibilité du dénouement contraire, lequel est beaucoup plus probable ; le simple bon sens de l’enfant suffit à l’en assurer. Vouloir prouver que le meilleur moyen d’arriver au bonheur utilitaire est de s’abandonner aux sentiments altruistes, non seulement est toujours contestable, mais, de plus, c’est là faire appel aux sentiments égoïstes eux-