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PRÉFACE.

nez ni dans la bouche, ne pas se servir à table avec les mains, ne pas mettre, quand il pleut, les pieds dans l’eau, etc.[1]. Être raisonnable ! Pour bien des parents l’enfant raisonnable est une petite marionnette qui ne doit bouger que si on en tire les fils ; il doit avoir des mains pour ne toucher à rien, des yeux pour ne pas pétiller de désir à tout ce qu’il voit, des petits pieds pour ne point trotter bruyamment sur le plancher, une langue pour se taire.

Beaucoup de gens élèvent leurs enfants non pour les enfants mêmes, mais pour eux. J’ai connu des parents qui ne voulaient pas marier leur fille, afin de ne pas se séparer d’elle ; d’autres qui ne voulaient pas que leur fils prît tel ou tel métier (par exemple celui de vétérinaire) parce que ce métier leur déplaisait à eux, etc. Les mêmes règles dominaient toute leur conduite envers leurs enfants. C’est l’éducation égoïste. Il est une autre sorte d’éducation qui prend pour but non plus le plaisir du père, mais le plaisir du fils apprécié par le père. Ainsi un paysan, qui a passé toute sa vie au soleil, considérera comme un devoir d’épargner à son fils le travail de la terre ; il l’élèvera pour en faire un petit bureaucrate, un pauvre fonctionnaire étouffant dans son bureau, qui s’en ira mourir phtisique dans quelque ville. La vraie éducation est désintéressée : elle élève l’enfant pour lui-même, elle l’élève aussi et surtout pour la patrie, pour l’humanité entière.

  1. À un point de vue supérieur, l’idéal de beaucoup d’hommes est-il en son genre bien plus élevé ?