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L’ÉCOLE.

relle, et encore dans une mesure qui n’est pas toujours suffisante, mais elles n’ont pas de caractère moral. Spencer croit pourtant que les réactions naturelles sont propres à donner à l’enfant le sentiment de la responsabilité. — Oui, mais d’une responsabilité purement utilitaire. Les vraies sanctions pédagogiques ont pour but de former le jugement moral, de faire naître, de soutenir et de développer chez l’enfant les sanctions intérieures, le plaisir et le déplaisir de la conscience, le contentement et le mécontentement de soi-même. C’est en quoi elles se distinguent des mesures purement disciplinaires. Elles consistent essentiellement dans l’approbation et le blâme. Elles ne peuvent pas toujours s’y réduire ; mais elles doivent toujours s’y rapporter, comme le signe à la chose signifiée. « La conscience morale de l’élève se développe, en quelque sorte, au contact de celle du maître, manifestée par le blâme et l’approbation[1] ».

Pourquoi, demanderons-nous à Tolstoï, l’école serait-elle bornée à la seule instruction, laissant l’éducation aux familles, qui souvent la font mal ? Le système anarchique de Tolstoï peut être applicable quand c’est un Tolstoï qui dirige l’école ; généralisé, il serait intolérable. Nous ne sommes pas du tout persuadé que, partout où il y a trois enfants réunis, l’esprit de Jésus soit avec eux : c’est trop souvent l’esprit du diable, — c’est-à-dire de la barbarie primitive et ancestrale. En outre, l’école doit être une préparation à la vie sociale. L’école de Tolstoï peut bien préparer l’enfant à une société comme le grand écrivain la rêve, — sans juges, sans prisons, sans armée ; — mais l’anarchie scolaire est une détestable préparation à la vie organisée et légale des sociétés actuelles. Il ne faut pas, dès l’école, persuader à l’enfant que sa seule loi soit son bon plaisir, réprimé par celui des autres, que la vie soit faite pour s’amuser, qu’on étudie et qu’on travaille quand cela vous parait bon, qu’on ne fait plus rien si l’idée vous prend de ne rien faire. Ce n’est point par un semblable système d’éducation qu’on fait, je ne dis pas seulement des soldats, mais même des citoyens.

Que faut-il donc retirer des expériences scolaires de Tolstoï ? — Cette conclusion que, si la discipline est nécessaire dans les écoles, elle ne doit pas cependant être poussée jusqu’à un formalisme rigide. Toutes les fois que

  1. M. Pillon.