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L’ÉDUCATION MORALE.


V. Il n’a point été fait jusqu’ici d’éducation vraiment esthétique ; historique, oui ; esthétique, non. Les notions de littérature elles-mêmes sont données au point de vue du temps et des dates, alors qu’en esthétique la date est une question secondaire. Il faut qu’on se préoccupe davantage du beau, aux divers degrés de l’instruction, et non seulement du beau littéraire, mais aussi du beau dans les arts. Il y a en tout homme un fond d’enthousiasme qui ne demande qu’à se répandre ; le malheur est qu’il se répand le plus souvent sur des choses qui n’en valent pas la peine, J’ai connu un brave homme qui avait quitté sa province, sa maison et ses habitudes pour faire le voyage des Pyrénées, à cette seule fin de manger des truites du lac de Gaube. Voilà de la gourmandise portée jusqu’à l’enthousiasme. Le but de l’éducation est non pas de supprimer l’enthousiasme, mais de le diriger vers des objets qui en soient dignes, qui soient bons et beaux.

Il y a deux sortes d’imagination : l’une consiste surtout à saisir les choses par leur ressemblance. C’est la fusion des images, d’abord involontaire, puis volontaire, qui aboutit à la métaphore. L’imagination des enfants et des peuples jeunes est essentiellement métaphorique ; leur langage même est fait de figures de toutes sortes. L’esprit analytique, au contraire, consiste à se représenter dans les choses plutôt les différences que les ressemblances, à préciser les contours des perceptions. L’esprit qui possède la plus haute forme d’imagination sait à la fois se représenter les ressemblances et les différences, distinguer parfaitement toutes ses perceptions ou conceptions, et cependant saisir le point où elles viennent se toucher, les traits qu’elles ont de commun. L’imagination créatrice est constituée par cette double faculté d’apercevoir les ressemblances et les différences. La perception des différences est ce qu’il y a de plus volontaire dans l’imagination : c’est la part du travail et même de l’effort dans le génie.

    profonde habileté de l’Église », qui sait remplir les jeunes esprits de ses enseignements et qui consacre en quelque sorte l’entrée du chrétien dans la vie par ce qu’elle appelle la « confirmation ». Bluntschli voudrait, lui aussi, une sorte de « confirmation et de consécration civique ». — « Pour exercer les droits civiques, dit-il, il faudrait avoir reçu l’éducation civique ou subi un examen correspondant. Une fête nationale annuelle remémorerait au besoin cette consécration civique. Le sentiment de l’État grandirait ainsi dans les esprits, et la capacité intellectuelle ou morale de l’électeur serait mieux assurée. »