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L’ÉDUCATION MORALE.

encyclopédies vivantes », parfois même des femmes spirituelles, mais point de femmes réellement utiles au corps social.

Il n’y a qu’un remède à cet état de choses, supprimer une bonne moitié des matières qui figurent au programme et leur substituer des connaissances plus véritablement fondamentales.

Un des préjugés devenus aujourd’hui classiques, c’est de supposer l’éducation comme ayant un objectif parfaitement arrêté, un terme, et comme se fermant par un examen au delà duquel l’éducateur n’a plus rien à désirer, l’élève plus rien à ambitionner. Cet inconvénient est encore plus sensible pour la jeune fille que pour le jeune homme, car, si l’examen ouvre en général une carrière au jeune homme, il est la plupart du temps tout à fait stérile pour la jeune fille. Après avoir pris au sérieux son travail d’écolière, s’y être donnée de tout cœur, la jeune fille, une fois rentrée chez ses parents, voit brusquement s’arrêter cette impulsion donnée ; de là un vide qui se produit dans sa vie, la suppression brusque de toute ambition autre que celle de la coquetterie, de toute distraction autre que les commérages de la vie bourgeoise. Il serait pourtant essentiel, aussi bien pour la jeune fille que pour le jeune homme, de se représenter l’éducation comme continue, sans interruption, destinée à embrasser la vie tout entière.

Il ne doit pas y avoir d’époque où l’on cesse d’apprendre. L’examen, qui n’est qu’un procédé grossier pour constater par à peu près ce que vous savez, devrait être surtout un moyen de vous montrer ce que vous ne savez pas encore. Un programme n’est jamais bon qu’à condition de ne pas être pris trop au sérieux, de ne pas constituer pour l’élève une barrière, de ne pas être comme une limite de la taille intellectuelle. La croissance du corps se continue souvent jusqu’à plus de vingt ans, la croissance de l’intelligence doit être absolument indéfinie jusqu’à la mort. Inspirez donc aux enfants, et surtout aux jeunes filles, le goût de la lecture, de l’étude, des choses d’art, des nobles délassements ; ce goût vaudra mieux que tout savoir proprement dit, artificiellement introduit dans les têtes : au lieu d’un esprit meublé de connaissances mortes, vous aurez un esprit vivant, mouvant, progressif, Au lieu d’atrophier le cerveau