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L’ÉDUCATION MORALE.

les suicides de Paris sont le septième des suicides de toute la France, et ceux du département de la Seine, le dixième. — Excès de la lutte pour l’existence, travail dans les ateliers malsains, alcoolisme, débauche rendue facile, contagion nerveuse, atmosphère immonde : tels sont les périls. La vie de l’organisme social, comme celle de tous les autres organismes, se maintient par la combustion ; mais ce qui se brûle aux foyers les plus actifs de la vie, ce ne sont pas des matériaux étrangers, ce sont les cellules vivantes elles-mêmes. L’ordre social actuel crée d’une part des oisifs, de l’autre des surmenés et donne pour idéal aux surmenés l’état des oisifs. État pourtant peu enviable. Ne rien faire, cela mène à tout désirer sans avoir la force de rien accomplir ; de là l’immoralité fondamentale des oisifs, — c’est-à-dire de toute une classe de la société. Le meilleur moyen de limiter et de régler la passion, c’est l’action continue ; et en même temps c’est le moyen de la satisfaire dans ce qu’elle a de raisonnable et de conforme aux lois sociales.

Ce ne peut être la supériorité intellectuelle en elle-même qui est dangereuse pour une race, car elle lui crée au contraire un avantage dans la sélection naturelle. Le danger n’est dans aucune supériorité, quelle qu’elle soit, mais dans les tentations de toutes sortes qu’amènent avec elles les supériorités. La tentation à laquelle il est le plus difficile de résister dans notre société moderne, c’est celle d’exploiter entièrement son talent, d’en tirer tout le profit pratique, de le transformer en la plus grande somme d’argent et d’honneur qu’il puisse donner. C’est cette exploitation sans mesure des supériorités qui les rend périlleuses. La chose est si incontestable, qu’on en peut voir une vérification jusque dans les formes mômes de supériorité qui semblent le gage le plus sûr de la survivance : celles de la force physique et de la force musculaire. Si un homme est d’une force assez remarquable pour songer à en tirer parti et qu’il se fasse athlète, par exemple, il diminue beaucoup les chances d’existence pour lui-même, et conséquemment pour sa race. Pourtant la force physique se confond, dans une certaine mesure, avec les conditions mômes de la vie ; mais vouloir exploiter les conditions de la vie, c’est les altérer. Le meilleur principe de toute hygiène morale serait donc d’engager l’individu