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STOÏCISME ET CHRISTIANISME.

le sanglier d’Érymanthe. Qu’il se donne tout entier à cette tâche de délivrance : « Homme, dans un beau désespoir, renonce à tout pour être heureux, pour être libre, pour avoir l’âme grande. Porte haut la tête : tu es délivré de la servitude[1]. »

Non seulement cette délivrance rend la vie heureuse, mais, à vrai dire, elle constitue la vie même, la vie véritable. Il est, d’après Épictète, une mort de l’âme comme il est une mort du corps[2] : celui-là, avait déjà dit Sénèque, vit véritablement, qui se gouverne lui-même, qui se sert de lui-même : vivit, qui se utitur. La liberté se confondant avec la raison, c’est la partie maîtresse de l’homme (τὸ ἡγεμονιϰόν)[3], c’est l’homme même : celui qui s’affranchit fait ce qui est de l’homme ; celui qui perd sa liberté morale perd son titre d’homme pour devenir semblable à la bête. En d’autres termes, l’un obéit à sa nature, l’autre lui est infidèle : suivre sa nature, c’est donc garder sa liberté. Nous touchons ici à un point important du système d’Épictète. — Selon Zénon et les premiers stoïciens, c’est dans la nature que la volonté humaine trouve la règle de ses actions : τέλος τὸ ὁμολογουμένως τᾖ φύσει ζἦν. L’homme doit se borner à faire par réflexion ce qui est conforme à sa nature, comme les animaux le font par instinct, comme l’oiseau dont la nature est de voler, vole. Mais soumettre ainsi la volonté humaine à la nature, c’était lui imposer une loi du dehors, c’était établir, suivant l’expression de Kant, son hétéronomie. À mesure que se développa le système stoïcien, on vit s’élever, au-dessus de cette idée de la nature comme règle du bien et du mal, l’idée supérieure de la liberté se donnant à elle-même sa loi : ἐλευθερία αὐτόνομος. Épictète, enfin, rapproche et confond ces deux idées ; pour lui, liberté et nature s’identifient dans l’homme : la nature de l’homme, c’est d’être libre. « Examine qui tu es. Avant tout un homme, c’est-à-dire un être chez qui rien ne prime le libre arbitre ; au libre arbitre tout le reste est soumis ; mais lui, il n’est esclave de personne, ni soumis à personne[4]. » Par là Épictète, sans se déga-

  1. Entretiens, II, xvi.
  2. Ib., I, v.
  3. Ib., IV, i, iv.
  4. Ib., ii, 10.