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CHAPITRE V


CRITIQUE DU STOÏCISME

I


L’idée fondamentale de la philosophie stoïcienne, surtout de la philosophie d’Épictète et de Marc-Aurèle, nous l’avons vu, fut l’idée de la liberté ; et cette liberté, les stoïciens la conçurent comme absolument indépendante de toutes les choses extérieures, comme trouvant au dedans d’elle seule sa règle et son bien. C’était beaucoup, ce n’était pas encore assez : car il restait toujours à savoir ce qu’est en elle-même cette liberté, ainsi posée à part du monde. Or, quand il s’agit de pénétrer dans le for intérieur de l’homme pour chercher l’essence même de sa liberté, les stoïciens hésitent : ils conçoivent la liberté comme raison et intelligence plutôt que comme volonté active. Être libre, pour eux, c’est surtout comprendre, c’est ne pas trouver d’obstacle devant son intelligence et se rendre raison de toutes choses, c’est accepter plutôt que faire : liberté contemplative qui, lorsqu’elle est enfin parvenue à soumettre l’imagination et à dompter la sensibilité, se repose désormais en elle-même, isolée, indifférente, satisfaite et de soi et des choses : comprends d’abord, puis supporte et abstiens-toi (ἀνέχου ϰαὶ ἀπέχου)[1]. Le stoïcien se dérobe à l’action des choses plus qu’il n’agit lui-même, comme l’anneau d’une chaîne qui se croirait moralement libre parce qu’il s’est détaché des autres. Être à l’écart, sans trouble et dans la paix, tel est donc le vœu qu’émettent les stoïciens, et que répètent avec eux la plupart des sectes antiques, en dissension sur tous les autres

  1. Gell., Noct. Att., xvii, 19.