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STOÏCISME ET CHRISTIANISME.

antique et le christianisme, malgré leurs ressemblances extérieures, s’opposaient au fond : qu’on compare les préceptes pratiques des philosophes et des chrétiens, on les verra souvent se confondre ; qu’on compare les principes dont ces préceptes sont déduits, on verra ces principes mêmes s’exclure mutuellement : chaque point de contact était aussi, pour ainsi dire, un point de répulsion. On croit souvent que les philosophes, — qu’ils fussent empereurs comme Marc-Aurèle, simples sujets ou même esclaves comme Épictète — ignoraient absolument les doctrines chrétiennes ; cependant le christianisme était déjà trop répandu pour qu’une telle ignorance fût possible ; ils ne les connaissaient que vaguement sans doute, mais ils ne se croyaient pas moins en droit de les rejeter. Saint Augustin lui-même nous dit que son esprit « s’est choqué longtemps aux apparentes absurdités de l’Écriture », avant de s’incliner devant ses mystères. (Confessions, VI, v). Comment les philosophes d’alors, pour qui la raison était la partie maîtresse de l’homme, τὸ ἡγεμονιϰόν, eussent-ils pu comprendre le mot de Tertullien : « Credibile est, quia ineptum est… Certum, quia impossibile. » (De carne chr., 5). Ceux mêmes d’entre eux qui adoptèrent le christianisme firent leurs réserves. Saint Justin porta jusqu’à son martyre le manteau de philosophe. On trouve dans les lettres d’un Père de l’Église grecque, Synésius, des documents curieux, qui peuvent nous faire voir comment l’esprit philosophique d’alors, même lorsqu’il acceptait certains dogmes, manifestait ses répugnances à l’égard de certains autres. « Je ne me réduirai jamais à croire, » écrit Synésius à son frère au moment où on le presse d’accepter l’épiscopat, « que l’âme est créée après le corps ; je ne dirai jamais que le monde et toutes ses parties doivent être anéantis. Je crois cette résurrection dont il est tant parlé quelque chose de mystérieux et d’ineffable ; et il s’en faut de beaucoup que je partage sur ce point les imaginations vulgaires. » (Synes. Episcop. Oper., p. 246). À cause de ces opinions dissidentes inspirées par l’esprit philosophique, Synésius ne veut pas faire comme tant d’autres : enseigner les dogmes qu’il rejette. « Sans doute, ajoute-t-il, une âme philosophique qui voit la vérité peut accorder au besoin quelque chose à l’erreur. Il y a un rapport à saisir entre le degré de lumière que