Page:Guyau - Éducation et Hérédité.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE VII


ÉPICTÈTE ET PASCAL


L’antithèse du stoïcisme et du christianisme a eu pour interprète éloquent Pascal. Il ne faut pas s’attendre de sa part à une exposition suivie et raisonnée de la philosophie stoïcienne. Sans doute il possède bien Épictète, mais beaucoup moins bien que Montaigne ; je n’en voudrais pour preuve que ceci : il traduit et cite mot pour mot le philosophe, comme font les interprètes ordinaires, tandis que nous le voyons repenser la pensée de Montaigne, taillant à plaisir dans les phrases tortueuses de son auteur et reproduisant d’autant mieux l’esprit qu’il corrige davantage la lettre. Épictète, vu à travers Pascal, perd autant que gagne Montaigne. De toute cette théorie si originale de la volonté, qu’Épictète concevait comme « autonome » et trouvant en soi sa règle et son bien, Pascal ne dit mot. Il semble qu’en ouvrant le Manuel ou les Dissertations il ait eu hâte de laisser les passages essentiels, pour courir et s’attarder à ceux où il croyait apercevoir quelque lointaine ressemblance avec la Bible. Il nous représente presque Épictète comme un autre Job prosterné sous la droite de Jéhovah, et il répète avec admiration ces paroles qu’il prend sans doute en un sens tout biblique : « Ne dites jamais : j’ai perdu cela ; dites plutôt : je l’ai rendu. Mon fils est mort, je l’ai rendu. Ma femme est morte, je l’ai rendue. » Puis vient la comparaison de la vie avec une pièce de théâtre, où le Maître nous distribue d’avance nos rôles, et où il faut, sans y rien changer, jouer le personnage qu’il nous donne. Résignation humble à Dieu, voilà ce que Pascal a cru apercevoir et ce qui le frappe tout d’abord dans le stoïcisme d’Épictète.