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STOÏCISME ET CHRISTIANISME.

roulent tous ses discours et tous ses Essais, » et c’est la « seule chose » qu’il prétende bien établir. C’est dans ce but qu’il détruit a insensiblement » tout ce qui passe pour le plus certain parmi les hommes et qu’il va se moquant de toutes les assurances. Où veut-il donc en venir avec son pyrrhonisme ? — Pascal ne s’attarde guère à le suivre dans les circuits de sa pensée « ondoyante et diverse » ; il ne le suit pas même un instant : à vrai dire il le mène ; il le mène où il veut qu’il aille, à travers ce chemin si détourné, mais selon lui si sûr, qui part de l’incertitude absolue pour aboutir à la foi entière.

Aussi, à peine Pascal l’a-t-il établi et s’est-il établi avec lui dans cette « assiette toute flottante et chancelante » du doute, que, par une antithèse violente où se résume tout son système, il nous le montre combattant avec une « fermeté invincible « et foudroyant l’impiété. Plus la certitude de la raison a été ébranlée, plus la certitude de la foi va être raffermie. C’est alors que Pascal s’enthousiasme : avec Montaigne il ce entreprend » ces hommes « dépouillés volontairement de toute révélation » ; il les « interroge », il les « presse ». Est-ce que l’âme, sans parler de connaître autre chose, se connaît elle-même en son essence ? Non. Se connaît-elle dans son principe et dans sa fin ? Non. Et sa propre pensée, la connaît-elle assez pour savoir si elle n’erre ni ne se trompe ? Et les objets de sa pensée ? Temps, espace, mouvement, autant de mystères pour elle. Elle ignore le bien, elle ignore le vrai. Enfin, l’idée la plus fondamentale de toutes et qui se retrouve sous toutes les autres, l’idée d’être, peut-elle même la concevoir et la définir ? Non. On ne peut rien définir sans cette idée, et on ne peut définir cette idée. De quelque côté qu’il se tourne, l’esprit humain se retrouve donc en face de son propre néant. De cette impuissance de la pensée naît l’incertitude de toutes les sciences, objets de la pensée : géométrie, physique, médecine, histoire, politique, morale, jurisprudence et « le reste ». Enfin, à quoi ressemble cette universelle incertitude, si ce n’est à celle d’un rêve perpétuel ? Nous ne pensons donc pas, nous rêvons. Et pourquoi ce rêve serait-il le propre de l’homme ? pourquoi ne nous serait-il pas commun avec l’animal ? La raison humaine, « si cruellement gourmandée » et venue à ce point de douter si elle est raisonnable, se voit donc de degré en degré retomber