Page:Guyau - Éducation et Hérédité.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
23
LA SUGGESTION COMME MODIFICATEUR DE L’HÉRÉDITÉ.

l’homme du péché fatal, montrer non plus seulement que l’obligation morale suppose la faculté d’agir, mais qu’elle en provient, qu’elle en est l’exercice normal, que celui qui fait avec réflexion et raisonnement ce qu’il peut, fait aussi ce qu’il doit. « Avez-vous observé, dit naïvement Meng-Tseu, que, dans les années d’abondance, le peuple fait beaucoup de bonnes actions, que dans les années de stérilité il en fait beaucoup de mauvaises ? » Meng-Tseu a raison : toutes les causes de discordes entre les hommes sont toujours une transformation plus ou moins complexe du morceau de pain primitif ; le vrai péché de l’homme, c’est la faim sous toutes ses formes. Un organisme complètement nourri, non pas seulement dans sa chair et dans ses muscles, mais dans les ramifications les plus fines de son système nerveux, serait, à moins de prédispositions maladives héréditaires, un organisme bien équilibré. Tout vice, qui se ramène à une déséquilibration, se ramène ainsi scientifiquement à une nutrition plus ou moins mauvaise de quelque organe profond.

En somme, l’homme n’est pas foncièrement mauvais, par cette raison que c’est un être naturellement sociable. Homo homini lupus, c’est vrai, il est quelquefois un loup pour l’homme ; mais les loups mêmes ont du bon, puisqu’ils s’assemblent parfois en bandes et organisent des sociétés plus ou moins provisoires. D’ailleurs, ils ont pour cousin germain le chien, qui est le meilleur des animaux. S’il y a parfois dans l’homme les instincts du loup, il y a aussi ceux du chien, il y a aussi ceux de la brebis ; tout cela fait un mélange qui n’est pas la vertu ni la sainteté idéales, mais que la sagesse chinoise avait raison de ne pas trop dédaigner. Tout être qui n’est pas monocellulaire est sûr de posséder quelque chose de bon, puisqu’il est une société embryomiaire, et qu’une société ne subsiste pas sans un certain équilibre, une balance mutuelle des activités. D’ailleurs, l’être monocellulaire lui-même redeviendrait plusieurs par une analyse plus complète : rien n’est simple dans l’univers ; or tout ce qui est complexe est toujours plus ou moins solidaire d’autres êtres. L’homme, étant l’être le plus complexe que nous connaissions, est aussi le plus solidaire par rapport aux autres ; il est en outre l’être qui a le plus conscience de cette solidarité. Or, celui-là est le meilleur qui a le plus conscience de sa solidarité avec les autres êtres et avec le Tout.