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POUVOIR DES HABITUDES.

qui tirait les bras du pantin est devenue un mécanisme d’horlogerie très compliqué, placé au dedans de lui, et qui n’a plus besoin d’être remonté du dehors que de temps en temps, par le choc de nécessités périodiques. L’habitude, devenue instinct dans la race par l’effet de l’hérédité, modifie l’être de manière à l’accommoder non plus seulement au présent brutal, mais à de simples possibles. C’est une sorte de prévision inconsciente fondée sur l’analogie de l’avenir avec le passé. De là une modification profonde dans les phénomènes psychologiques les plus rudimentaires vers lesquels nous nous reportons : à la secousse du choc ou de la sensation se substituent des pressions venues du fond même de l’être, le poussant à l’action sans l’y précipiter pour ainsi dire. Les secousses des sensations sont ainsi préparées, adoucies, évitées souvent par l’organisation des habitudes, par des ressorts intérieurs beaucoup plus savants, plus doux, d’une action moins soudainement nécessitante.

Il importe maintenant de distinguer deux sortes d’habitude ou d’adaptation au milieu : 1o adaptation d’un être passif à un milieu toujours le même, par exemple d’un rocher à l’air ambiant, d’une plante à un climat donné ; 2o adaptation d’un être actif et mouvant à un milieu toujours variable lui-même, par exemple celle de l’homme au milieu social, qui est une véritable éducation. La première adaptation se fait une fois pour toutes ; elle est passive et peut donner lieu chez l’être à des propriétés nouvelles, non à des puissances à des activités nouvelles. La seconde est toujours inachevée ; elle comprend un système de réactions qui est toujours incomplet sans être pourtant entièrement en défaut ; elle pousse donc à une action qui n’est automatique que dans sa direction la plus générale, mais qui, dans le détail, donne lieu à une foule d’actes spontanés et même réfléchis. Toute habitude d’agir, tout instinct actif tend ainsi à éveiller l’intelligence et l’activité au lieu de les déprimer entièrement par l’automatisme : l’histoire naturelle pourrait nous en fournir des exemples à l’infini.

À l’origine, donc, le nisus informe et obscur de la vie, doué sans doute déjà d’une conscience sourde, et en tous cas de la faculté de s’habituer qui ne fait qu’un avec ce qu’on a appelé la mémoire organique. La première manifestation de cette mémoire plus ou moins inconsciente de la molécule vivante, c’est l’action réflexe. L’action réflexe