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POUVOIR DES HABITUDES.

d’esthétique. En effet, au fond de tout concept moral ou esthétique se retrouve comme élément essentiel l’idée d’ordre, d’arrangement, de symétrie. Le plaisir esthétique que nous cause l’ordre s’explique par le plaisir de la répétition (répétition de certains mouvements de la rétine, etc.) ; la répétition d’un acte, à son tour, ne nous est agréable que par la facilité qu’elle nous cause et qui naît de l’habitude. L’ordre se ramène donc subjectivement, en grande partie, à l’habitude. De même l’ordre moral, en ce qu’il a de plus élémentaire, est régularité et, devant les autres hommes, réciprocité, c’est-à-dire répétition des mêmes actes dans les mêmes circonstances par un individu ou par plusieurs. C’est déjà presque trouver une chose belle ou bonne que de s’y habituer pleinement, c’est-à-dire de la percevoir sans éprouver aucune résistance dans aucun de nos sens et dans aucune de nos activités intellectuelles ou motrices. Toute habitude engendre une certaine règle personnelle : l’acte accompli sans résistance dans le passé devient un type pour l’acte à venir. L’habitude, en effet, est une force ayant une certaine direction donnée d’avance ; elle est donc le centre d’un système d’actions et de sensations, et il lui suffit de prendre conscience de soi pour devenir un sentiment actif et déterminant ; c’est un sentiment-force. L’idée-force, dont nous parlerons plus loin, marque un degré encore supérieur de l’évolution. L’habitude, en un mot, a une vertu canonique et éducatrice ; c’est la règle primitive de la vie. Le convenable est en grande partie l’habituel. Toute habitude tend à devenir une forme s’imposant aux choses et aux êtres, une formule d’action et d’éducation personnelle, une loi immanente, lex insita. On peut même se demander si toute loi, y compris les lois de la nature, ne se ramène pas à une habitude.

Le rite, qui est un développement supérieur de l’habitude, n’a pas seulement une valeur religieuse ; il a aussi une valeur morale. Or le rite, avons-nous dit ailleurs, naît du besoin de reproduire le même acte dans les mêmes circonstances, besoin qui est le fond de l’habitude et sans lequel toute vie serait impossible. Aussi y a-t-il quelque chose de sacré, pour l’homme primitif, comme pour l’enfant, dans toute habitude, quelle qu’elle soit ; d’autre part tout acte, quel qu’il soit, tend à devenir une habitude, et par là à prendre ce caractère respectable, à se consacrer en quelque sorte lui-même. Le rite tient donc, par