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POUVOIR DE LA CONSCIENCE.

dont le mécanisme esl nécessaire. Mais pourquoi voulons-nous être libres ? Je réponds : parce que nous avons reconnu par l’expérience que la liberté est une chose pratiquement avantageuse pour nous et pour autrui. La liberté, comme toute puissance accumulée, vaut par ses conséquences possibles.

Remarquons que, dans certaines conditions, la fatalité, l’esclavage le plus grossier, ne peuvent pas ne pas prendre l’apparence de la liberté. Un chien tenu en laisse par son maître, mais dont le maître désirerait précisément aller partout où veut aller le chien et aussi vite que lui, se croirait parfaitement libre. Un poisson enfermé dans un bocal de verre, mais qui serait perpétuellement attiré au centre du bocal par quelque friandise ou toute autre raison, ne se ferait nullement l’idée qu’il est sous verre. Comment donc ne nous croirions-nous pas libres, nous qui sommes dans une position infiniment supérieure à celle du chien ou du poisson ? En effet, personne ne nous tient en laisse ou en prison ; notre esclavage ne consiste qu’à faire précisément tout ce qui nous semble préférable mous n’obéissons qu’à nos préférences, ce qui est vraiment la plus agréable des choses. Ajoutons que personne ne peut jamais prévoir d’une manière absolue ce que nous préférerons demain : ce qui s’explique très bien par la variation perpétuelle de nos motifs. Chacun d’eux, étant une pensée, est un véritable être vivant qui naît, grandit, décline en quelques instants ; tout cela s’agite en nous. Nous croyons alors notre liberté absolue, indéterminée, à cause de l’infinité des motifs qui nous déterminent. Et nous sommes satisfaits dans les limites où nous nous trouvons. Quand Christophe Colomb débarqua en Amérique, il crut avoir trouvé un continent : ce n’était qu’une île, mais les indigènes n’avaient jamais éprouvé le désir de la parcourir tout entière : ils la croyaient donc sans fin. Cette infinité des motifs empêche entre eux tout équilibre fixe et interdit toute prévision du dehors ; quant à nous, pour faire cesser cette lutte des motifs, il ne nous faut qu’un simple désir ; bien plus, il nous suffit de la pensée même de ce désir. Une action conçue comme possible suffit par cela seul à nous donner la puissance de la réaliser. Nous ne pouvons donc jamais concevoir une action comme impossible, puisque la simple conception de cette action la rend possible ; nous sommes donc nécessairement libres à nos propres yeux. Nous pouvons toujours vouloir ce qui nous apparaît comme plus désirable que le